Philippe Grauer
Étayé sur des notes de Jacques Tosquellas.
Courant de pensée et pratique mis en place durant la dernière guerre sous l’influence du psychiatre anarcho marxiste catalan François Tosquelles. Paul Balvet, psychiatre directeur de l’hôpital psychiatrique de Saint Alban, informé par son ami le professeur Dides (1) qu’un psychiatre remarquable qu’il avait rencontré 10 ans plus tôt à Barcelone se trouvait au camp de Septfonds, obtint l’extraction dudit psychiatre, François Tosquelles (on prononce Tosquaillès), qui arriva à Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère, début 1940 (2)
La rencontre avec Lucien Bonnafé (3) eut lieu plus tard, début 43 – juin 44. Les relations entre eux furent bonnes, malgré les oppositions qui ont surtout éclaté après, sur la place de la psychanalyse relativement au communisme orthodoxe. Le nom même de psychothérapie institutionnelle surgit plus tard, sous la plume de Georges Daumezon, auteur du nom, à l’occasion d’un article signé avec Philippe Koechlin en 1952.
Tosquellas instaura une sorte d’autogestion psychothérapique à l’hôpital psychiatrique de Saint Alban. L’idée de base est que pour empêcher l’hôpital de rendre fous les fous (un établissement en particulier de soins est un organisme malade qu’il faut constamment soigner, sous peine de devenir lui-même toxique pour ceux qu’il se propose officiellement – institutionnellement – de soigner), il faut considérer l’institution tout entière comme soignante. On a alors affaire à une sorte de sujet collectif qui comprend (terme sensible employé ici, mais précisément il va s’agir d’en pratiquer l’analyse, de ce sujet-là, ce qui deviendra la fameuse analyse institutionnelle ) du psychiatre au personnel du nettoyage et bien entendu les personnes prises en charge de soin. Ceci requiert un dispositif institutionnel particulier qui à force de recherches révolutionna la façon de penser la psychose – et le lieu de soin. En disant bien plus tard qu’à Esalen c’était les psychotiques qui soignaient les névrosés, on procédait sans le savoir du même courant de pensée, donnant à la folie un tout autre statut anthropologique.
La fécondité de la pensée institutionnaliste relayée après-guerre par la réflexion des rescapés des camps de la mort sur l’institution perverse comme cause de folie, contribua au puissant renouveau de la psychiatrie en France et en Europe. Le courant institutionnaliste maillé à l’antipsychiatrie et au mouvement italien contre l’asile aboutit à la suppression de la mentalité et de l’institution asilaire, et au développement de la psychiatrie de secteur, largement pénétrée par une pensée psychanalytique progressiste d’inspiration lacanienne.
La psychothérapie institutionnelle représente l’une des deux sources de la psychothérapie relationnelle, avec la psychologie humaniste américaine. Il convient de l’étudier sérieusement.
La situation actuelle, de régression massive de l’institution psychiatrique et de la psychiatrie ramenée à la neurologie, aux TTC et à une mentalité asilaire sécuritaire, résurgence du comportementalisme et du conditionnement (quel nom évocateur !) dans un univers balisé par les bornes aveugles du DSM et de son idéologie, un univers dont les protocoles font penser aux notices de la machinerie électronique, un univers ayant répudié les apports de cent ans de psychanalyse et de cinquante ans de psychologie humaniste au bénéfice de l’illusion managériale et du scientisme, la situation actuelle donc, rend le recours à la pensée institutionnaliste à nouveau particulièrement d’actualité militante et de ressource citoyenne.
D’où l’actualité de textes comme ceux d’Hélène Chaigneau, récemment publiés.
On consultera utilement
– l’article Wikipédia,
– et bien sûr l’ouvrage de l’ami Joseph Mornet, Psychothérapie institutionnelle, histoire et actualité, aux éditions du Champ Social, 2007.
– dont les 26 èmes Rencontres de Saint Alban les 17 et 18 juin 2011.
– les 27èmes Le pouvoir et ses petites perversions
– et 28èmes Le collectif
Mises à jour : 1er février 2011 – rectification faute de frappe 5 janvier 2012 – remise en forme typographique le 9 août 2013 –
Ce Balvet eut son importance : il a prononcé dans un congrès de psychiatres de langue française à Montpellier, en 1942 je crois, un rapport sur l’état de la psychiatrie qui a fait scandale mais qui était d’une « justeté » considérable, et courageuse. Mon père était allé avec lui à Montpellier, mais on lui a refusé l’entrée parce qu’il était métèque, en tout cas pas français, et rouge qui plus est ! Un Balvet qui a fait plein de choses dans la lutte contre l’immonde bête asilaire (au mauvais sens du terme asile), établissant le lien entre les camps nazis et les conditions de l’internement en France. Balvet a participé à l’action pour qu’il n’y ait aucun malade mort de faim en France dans l’HP dont il était directeur. Ce n’est pas rien. Et il a fait beaucoup plus encore.
Alors quant à Dides, je n’ai pas plus à dire. Sauf peut-être que son intervention a permis à mon père d’être reçu à Saint Alban et d’y vivre longtemps, jusqu’en 1962. Même si pendant 6 ans, il n’a pas été payé – bien entendu, un étranger ! C’est pareil aujourd’hui dans les hôpitaux, mais sans l’arrière fond politique de l’époque. Il recevait, il est vrai de l’argent du gouvernement d’Espagne en exil au Mexique. En tout cas, il est du coup resté à Saint Alban et en France, et donc n’est pas allé en Amérique du Sud où on l’attendait. Jacques Tosquellas.
Plus tard, Dides fut le seul psychiatre français à écrire spontanément à mon père au camp de Septfonds pour lui offrir une place à l’hôpital psychiatrique de Vesoul. Mais sa lettre est arrivée quelques heures après le télégramme du préfet de la Lozère offrant un poste à Saint Alban. Ce qu’il a préféré. Il ne sait pas pourquoi. C’est par contre son ami Sauret, qui l’accompagnait à Septfonds et dans le POUM, mon parrain, qui a pris la place. Dides a accepté la chose. À noter que dans sa lettre il mentionnait le repas à Reus et l’intervention de mon père.
Sur la genèse du télégramme du préfet de la Lozère : Balvet était catholique pratiquant, et avait la phobie des rouges qu’il considérait comme de vrais criminels. Le préfet avait proposé quelques rouges ouvriers pour reconstruire l’hôpital. Ce que Balvet refusa compte tenu de ses opinions. Mais il signala que s’il y avait quelques psychiatres il pourrait envisager de les recevoir. Le préfet répondit qu’il n’y avait que des criminels au camp et jamais de psychiatres. Peu de jours après, Balvet mange avec un de ses amis du Puy, Jacques Chaurand. Un de ses amis, Vives, lui avait raconté qu’il y avait un psychiatre au camp et il lui avait surtout raconté les activités qu’il y développait. Balvet demanda alors au Préfet de faire venir mon père. Chaurand est devenu un des amis de mon père. Il est le premier, je crois, à avoir ouvert une école d’éducateurs, Saint Simon, à Toulouse.