Abraham Maslow lance, en adressant une lettre circulaire à des amis psychologues à laquelle répondent d’emblée plusieurs centaines d’entre eux parmi lesquels Rollo May, John Bugenthal, Carl Rogers, ce qui va devenir en 1961 à l’issue des rencontres de Detroit l’Association de psychologie humaniste américaine. Dans le contexte d’un partage du territoire idéologique et scientifique entre une psychanalyse américaine entièrement aux mains des psychiatres, devenue normalisatrice, et un comportementalisme c’est le moment de le dire sans états d’âme (John Watson, Burrhus F. Skinner), s’ouvrit ainsi une Troisième voie, d’inspiration humaniste, existentielle et parfois spiritualiste.
Réunis autour de l’idée d’une psychologie axée sur des concepts comme la santé comprise comme globalité (holisme), le principe de croissance, l’amour, la créativité, la (bonne) nature humaine, l’être, le processus, la théorie du (self) et de l’autoréalisation de soi (1) – que la culturaliste Karen Horney développe dès la fin des années 40 –, l’individualité et le sens (de la vie et de son expérience pour la personne), ils envisagent la pratique de la psychologie – ils ne disent pas psychologie clinique – au service des gens – clients laïcs et non patients selon la terminologie médicale – comme fondée sur une compréhension concrète, dynamique, dialoguée et expérientielle de l’existence humaine. Restés proches de la philosophie, ils considèrent que les faits de conscience ne sont pas du ressort de la recherche et de la psychologie scientifiques.
Un courant plus ancien, datant d’avant-guerre, avait déjà pénétré en Europe, qui commençait à s’appeler Organisationnal Development (recherches sous la direction d’Elton Mayo à la Western Electric dans les années 30} etc.), et qui, rénové par Kurt Lewin (théorie du champ, et de la Forme : gestalt de première génération) émigré à Bethel (NTL), nourrit ce qu’on appela communément alors la Dynamique de groupe, rénovant le concept de recherche en introduisant celui de recherche-action.
Conjugué au déploiement de la pensée rogerienne en France (Michel Lobrot à Beaumont sur Oise 1963, Max Pagès, premier amphi non directif à la Sorbonne 1966, André de Peretti et al) rencontrant le mouvement des pédagogues libertaires (Royaumont 1964) et de Socialisme ou barbarie avec Georges Lapassade (Groupes, organisations, institutions, ed. Gauthiers-Villars), Michel Lobrot (La pédagogie institutionnelle, Gauthiers-Villars), René Lourau (L’analyse institutionnelle), créateurs avec Philippe Grauer, Raymond Fonvieille et Monique Labat (influence des innovations de Célestin Frenet en pédagogie) du Groupe de pédagogie institutionnelle – GPI. L’influence majeure de la psychothérapie institutionnelle – François Tosquelles à Saint Alban, puis Fernand Oury, Aïda Vasquez, Félix Guattary, à La Borde – s’y exerce, d’inspiration psychanalytique lacanienne, d’une pensée anarcho communiste correllée à une analyse « retour des camps » de l’institution qui rend fou, et du courant européen antipsychiatrique et anti autoritaire. L’ensemble du mouvement prit parfois la désignation de psychosociologie, appellation commode en ce sens que cette discipline n’existait pas. Elle finit par occuper un petit espace à l’université, mais resta à la marge (Max Pagès(2) Edmond Marc, Jacqueline Barus-Michel}) avant d’en quasi disparaître.
Ce bouillonnement explosa sous la forme de 1968 à la surprise générale. Immédiatement suivi par l’introduction en France à l’initiative de Max Pagès (Charbonnières 1969) du Mouvement du potentiel humain dont le centre de référence était Esalen, Big Sur, Californie, le centre relais en quelque sorte, Kaleidoscope, Londres. Les introducteurs en furent Jean-Michel Fourcade et Tan Nguyen, tôt rejoints par Dominique Colleter et Philippe Grauer, qui co-fondèrent en 1972 le CDPH. Parallèlement Jacques Durand-Dassier, de retour des États-Unis où il avait étudié en particulier les communautés de soins autogérés par les drogués eux-mêmes, créait en 1973 à Paris le Centre d’Évolution où il conduisit de nombreux groupes de Rencontre.
Ce fut Bill Grossman, directeur du Growth Center(3) (les canadiens traduisirent cette expression par Centre de croissance, qui correspond bien mais ne s’établit jamais en France) londonien Kaleidoscope qui forma en 1969-70 la première vague des psychopraticiens (avant la lettre, ils ne se dénommaient pas clairement encore et ne devinrent psychothérapeutes qu’à partir de 1981) humanistes dans les locaux de la Bourse de Commerce de Paris, à l’initiative de Bertrand Tavernier.
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La richesse et complexité du courant, un Mouvement plutôt, de la psychologie humaniste, dont les composantes vont du comportementalisme appliqué mais toujours en relation, en passant par l’émotionnalisme jusqu’au spiritualisme intégrant ou non une pensée d’origine religieuse (protestantisme américain), mais se tenant à l’écart du New Age, en passant par l’héritage freudien et culturaliste, et la rupture épistémologique de ce qu’on pourrait appeler la révolution psychocorporelle, se structura progressivement selon deux axes et deux logiques distincts souvent antagonistes. Celui des Méthodes-Écoles, qui progressivement réglementèrent à l’international comme au niveau national leurs structures de formation, celui des syndicats (deux en France, le PSY’G 1973, davantage orienté vers la défense de la psychohtérapie comme profession libérale, et le SNPPsy 1981) dont la pensée et l’action s’orientèrent, à partir de l’exigence éthique et d’une clarification épistémologique et institutionnelle, vers la définition d’une déontologie et d’une fondation de la profession distincte(5) de psychothérapeute (relationnel à partir de 1998).
À partir de 1990 l’ensemble institutionnel se diversifia sous l’influence de l’Association européenne de psychothérapie, regroupant des responsables de Méthodes (depuis 1981 apparaît clairement le terme psychothérapie), ayant frappé les esprits dans notre pays à l’issue du travail de fond des syndicats français, avec sa Déclaration de Strasbourg (1990) (7). L’AEP (dite EAP à l’anglo-saxonne), d’inspiration Méthodes-Écoles, reconnaît les méthodes, lesquelles reconnaissent leurs élèves, validés ensuite par retraduction de leur diplôme d’école en dossier en anglais au titre du Certificat européen de psychothérapie, CEP. Les syndicats titularisent, par passage devant une Commission de pairs, les praticiens en psychothérapie eux-mêmes (cinquième critère). Cette fracture scinde et structure le champ, plaçant face à face la FF2P (Michel Meignant, Serge Ginger, Isabelle Crespelle) d’une part, l’AFFOP (Jean-Michel Fourcade et al.) et les syndicats d’autre part. Des passerelles et une « zone de dialogue » existent néanmoins, qui autorisent la nécessaire conjonction de l’ensemble du Mouvement, dont le GLPR est la dernière manifestation.
La psychothérapie relationnelle se tient pour héritière du mouvement de la psychologie humaniste, intégrant sa diversité en protégeant le principe de la dynamique de subjectivation (ce qui fait lien avec la psychanalyse) et en maintenant la ligne éthique et déontologique des Cinq critères.
Une nébuleuse hors champ comporte le coaching (assistance professionnelle centrée sur l’objectif), qui cherche à s’organiser de son côté et tente parfois de mordre sur le champ psychothérapique par le biais de la relation d’aide, le développement personnel, des méthodes anciennes mais limitées, ou nouvelles venues, surfant sur des modes et modèles resurgissant comme découvertes récentes, des organismes d’allure spiritualistes. À l’extrême, des sectes singeant la psychothérapie, des organismes opportunistes drainant leur clientèle en affichant leurs noms pour une modique somme sur d’hasardeux annuaires. La Terre de la Grande promesse(8) continue de border la frontière, il en sera toujours ainsi.
Le nouveau titre académique paramédical de psychothérapeute situé du côté de l’autre frontière, réservé aux médecins et psychologues (précisément un psychologue n’est pas un psychopraticien relationnel, autre spécialité, toute différente) – les psychanalystes relèvent des deux catégories précédentes à l’heure actuelle à une écrasante majorité – est tout autant hors champ mais sur une autre terrain, majoritairement hospitalier, et sur un autre mode, celui de la médicalisation de l’existence – un autre type de Promesse.
Bien entendu tous les cas sont particuliers, et les multicasquettes brouillent la vue, jusqu’à celle du porteur de la visière, mais si l’on ne se réfère pas à une grille de lecture convenablement conçue et suffisamment classificatrice la carte devient inintelligible. Le tracé du Carré psy peut également aider à se retrouver dans ce qui apparaît au public (et souvent même aux professionnels qui ne connaissent que leurs issues à eux ) comme un dédale.
Philippe Grauer
Fiche créée le 7 novembre 2011, modifiée le 13 novembre.