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3 avril 2012

Bulletin de la société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse(Ed. Henri Roudier)

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Chers amis

Vous trouverez après quelques annonces deux articles parus récemment dans la presse française ; ils concernent la situation de la psychanalyse. Le premier paru dans l’Humanité réunit Marie-Noëlle Clément, Fethi Benslama ett Roland Gori. Le second, paru dans Le Monde est consacré à Pierre Delion.

Bien à vous

Henri Roudier


Lille le Jeudi 5 avril 2012 à 18h00

Amphithéâtre 1, Nouvelle Faculté de médecine, CHRU de Lille, métro Calmette
Dans le cadre du DU Psychothérapie Psychanalytique de l’enfant et de l’adolescent, l’ACIOS organise une conférence

Histoire de la Psychanalyse d’enfant
Par Elisabeth ROUDINESCO

Universitaire à Paris VII, historienne de la psychanalyse, auteure de nombreux ouvrages de référence sur l’histoire de la psychanalyse, présidente de la SIHPP

Participation aux frais : 5 euros (2 euros membres ACIOS et étudiants)
Inscriptions auprès de Mme Séverine BAILLEUL severine.bailleul@chru-lille.fr
DU de Psychothérapie de l’Enfant et de l’Adolescent,
Universités Lille2/Lille3 sous l’égide de la Fédération Française de Psychothérapie Psychanalytique de l’Enfant et de l’Adolescent (Responsables d’Enseignement : Pr. P. Delion, F.Bonelli, C.Dupuis).

 


Paris, Société de Psychanalyse Freudienne

Séminaires 23, rue Campagne-Premiere – 75014 Paris
Les jours indiqués à 21 h 15

LECTURES CROISÉES DE FREUD PULSIONS ET DESTIN DE PULSIONS
Responsable : Irène DIAMANTIS

Jeudi 5 Avril 2012 : Patrick AVRANE
Jeudi 3 mai 2012 : Maria KILAKOU
Jeudi 7 juin 2012 : Christian CHAPUT

PSYCHANALYSE AVEC LES ENFANTS, CLINIQUES ET THEORIE Questions cliniques
Responsables : Patrick AVRANE, Dominique GUYOMARD, Maylis de la SAUSSAY

Mardi 5 juin 2012 : Dominique GUYOMARD. Le « passage » à l’adolescence.

 


Toulouse les 29 et 30 juin 2012
Hôtel Dieu Saint-Jacques
Sous l’égide de la Société Médecine et Psychanalyse (SMP)

COLLOQUE
L’avenir de la relation de soin : le transfert est-il en option ?

Vous pouvez vous inscrire au Colloque directement sur le site : http://www.celsius-net.com/smp/
f.soula@celsius-net.com
Le comité scientifique :
Pr. Jean-Philippe Raynaud, Louis Ruiz, Dr. Hubert Stoecklin, Dr. Agnès Suc, Dr. Michel Vignes

 


Montpellier 27 juin – 4 juillet 2012

Septièmes Rencontres Francopsies
Histoire et Culture en Méditerranée, Avenir de la Psychiatrie
.

Au confluent de trois continents le bassin méditerranéen, en rassemblant l’un des plus grands brassages de cultures et de civilisations, a la particularité d’être le berceau d’un fort rayonnement sur l’Histoire de l’Humanité.

Aussi, depuis des siècles la psychiatrie, discipline clinique en constante interrogation, reflet des angoisses de l’Homme, y puise l’essence de sa conception et de sa pratique, complexe, singulière, évolutive. Jusqu’à notre ère où la mondialisation nous inviterait à dénier l’énigmatique de l’humaine condition, à la soulager de sa dimension d’être parlant, pensant et advenant, en un mot à lui promettre « la Fin de l’Histoire ».

Face à cette mutation paradigmatique se pose désormais la question cruciale de l’avenir d’une clinique du sujet qui ne trahirait pas ce qu’elle doit à l’Histoire.

A cet effet Montpellier, ville au Sud par sa tradition méditerranéenne, historiquement perméable au croisement des cultures comme l’illustre encore son auguste Faculté de Médecine depuis le XIIIe Siècle, se prêtera idéalement à la réflexion, à l’échange et à l’élaboration en accueillant les 7es Rencontres Francopsies.

Conseil scientifique permanent ALFAPSY présidé par le Docteur Paul Lacaze (F), avec Félicien Adotevi (SN), Jalil Bennani (MA), Antoine Besse (F), Hervé Bokobza (F), Sofiane Zribi (TN)

Conseil scientifique international présidé par le Docteur Antoine Besse (ALFAPSY), avec Chawki Azouri (RL), Fouad Benchekroun (MA), Rachid Bennegadi (F/Dz), Michel Botbol (F), Patrick Chemla (F), René Collignon (F/B), Pierre Decourt (F), Lamine Fall (SN), Jean-Yves Féberey (F), François Ferrero (CH), Yves Froger (F), Emmanuel Habimana (CDN), Essedik Jeddi (TU), Marie-Lise Lacas (F), Jean-Pierre Lebrun (B), J-J Laboutière (F), Juan Mezzich (USA), Driss Moussaoui (MA), Jean Rossier (F), Olivier Schmitt (F), Amadou Makhtar Seck (SN), Jacques Touchon (F), Jean-Pierre Visier (F)

Comité national d’organisation présidé par le Docteur Hervé Granier (AFPEP), avec Agnès Bardin (F), Ahmed Bennegeouch (Dz), Patrice Charbit (F), Etienne Cuénant (F), Thierry Delcourt (F), Michel Fruitet (F), Jean-Paul Guittet (F), Serge Klopp (F), Jacqueline Légaut (F), Michel Montes (F), Guy Rouchon (F), Eric Samama (F), Rajaa Stitou (F), Dominique Texier (F), Aude Van Effenterre (F), Josiane Vidal (F), Jean-Jacques Xambo (F)

Président d’honneur : Pr. Jacques Touchon. Président du congrès : Docteur Paul Lacaze

Plus d’informations aux adresses suivantes http://www.alfapsy.org/spip.php?article38 et www.afpep-snpp.org

 


Espace analytique
Troisième congrès à Paris du 20 au 23 septembre 2012

Maison de la Chimie, 28 rue Saint Dominique Paris

ACTUALITES DE LA PSYCHANALYSE

Je donnerai le programme un peu pus tard. Mais on le trouve sur le site d’Espace Analytique.
Informations : http://espace-analytique.org/index.php?option=com_content&view=article&id=32&Itemid=7

 


Le journal l’Humanité a publié le 23 mars, un article qui revient sur la situation de la psychanalyse en France et sur sa place dans les institutions : entretiens croisés recueillis par Laurent Etre avec Fethi Benslama, psychanalyste, directeur de l’UFR de sciences humaines cliniques de Paris-VII. Marie-Noëlle Clément, psychiatre, médecin directeur de l’hôpital pour enfants du Cerep, à Paris. Roland Gori, psychanalyste, professeur de psychopathologie clinique, initiateur de l’Appel des appels.

La psychanalyse est-elle en danger ?

Rappel des faits

Le 8 mars, la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu public un rapport sur le traitement de l’autisme, préconisant le recours aux méthodes comportementales, au détriment des approches psychanalytiques, qualifiées
de non consensuelles.

Le sujet délicat de l’autisme a-t-il été insidieusement investi d’une autre bataille, celle que mènent les tenants des thérapies cognitives et comportementales (TCC) contre la démarche psychanalytique ? En 2004, un rapport de l’Inserm concluant
à la « meilleure efficacité » des TCC dans le traitement des troubles mentaux avait déjà fait polémique. En effet, comment imposer les mêmes critères d’évaluation à des pratiques
aux finalités si différentes ?
De manière générale, alors
que les TCC visent la réduction d’un symptôme, la psychanalyse propose d’en rechercher le sens. Elle ouvre donc sur une véritable quête intellectuelle, dont la préservation, au-delà
des questionnements légitimes sur son apport face à telle
ou telle problématique,
est un enjeu de civilisation.

Comment analysez-vous l’intensité des réactions, le caractère très passionnel du débat autour du rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) jugeant la psychanalyse « non pertinente » dans le traitement de l’autisme ?

Marie-Noëlle Clément. La plupart de ceux qui prennent la parole dans les médias sur ce sujet ne sont pas eux-mêmes des thérapeutes d’enfants autistes, et ils ont une vision plus idéologique que clinique des enjeux du débat. Des psychanalystes partent en croisade pour sauver la psychanalyse qu’ils sentent attaquée, et la discussion sur la pertinence de l’approche psychanalytique dans l’autisme devient un débat sur la liberté de penser et la place de la psychanalyse. Pourtant la HAS ne s’est pas positionnée sur ce point ! La psychanalyse est totalement intégrée à notre culture et reconnue comme moyen de comprendre, d’explorer et de traiter. Le débat actuel a quitté la sphère de l’intérêt des patients pour devenir un affrontement où tous les coups sont permis, de part et d’autre, avec beaucoup de caricature et de méconnaissance du travail respectif de chacun. Mais dans les institutions où nous soignons au quotidien des enfants autistes, l’abord idéologique du problème nous détourne de la réflexion sur nos pratiques cliniques.

Fethi Benslama (1). Les psychanalystes ne sont certes pas sans responsabilités dans les attaques dont leur discipline fait l’objet en ce moment. Mais quelle est la discipline où il n’y a pas eu des erreurs ? Ce à quoi nous assistons, c’est à l’instrumentalisation de la Haute Autorité de santé (HAS) par une fraction très radicale de la psychologie cognitive et de la rééducation qui veut l’extermination de la psychanalyse d’une manière générale. Dans ce débat sur le traitement de l’autisme où n’existe aucune certitude, la HAS aurait dû jouer un rôle d’instigateur de véritables recherches d’évaluation. Or, nous constatons un fonctionnement à l’exclusion.

Roland Gori (2). La proximité des échéances électorales contribue à l’instauration d’un climat un peu passionnel, avec des réactions disproportionnées sur un certain nombre de sujets sensibles. Cela étant, il y a plusieurs raisons directes à la teneur passionnelle du débat autour de l’autisme. En premier lieu, c’est que le problème de l’autisme est présenté depuis quelque temps comme un enjeu de santé publique. En procédant ainsi, les réponses sont déjà dans les questions. La psychanalyse a historiquement émergé en opposition à la médecine positiviste et hygiéniste du XIXe siècle. La rationalité médicale et sanitaire fait aujourd’hui un retour en force au sein de la psychiatrie et en psychologie. La composition et les évaluations sanitaires de la commission de la HAS n’allaient pas favoriser les approches humanistes et sociales des souffrances, qu’elles soient psychiques ou organiques. Certains chercheurs avancent des causes génétiques aux syndromes autistiques. C’est possible. Mais ce n’est pas parce qu’une souffrance donnée serait d’origine organique qu’elle devrait exclure des pratiques de soins psychiques. En deuxième lieu, la décision a été prise sous la pression de lobbys fortement mobilisés, en particulier de certaines associations de familles d’enfants autistes, exploitant habilement la médiatisation de conflits épistémologiques et idéologiques. Pour les diagnostics et les traitements de certaines pathologies, le soupçon que l’industrie pharmaceutique influence le choix des experts est récurrent. C’est le cas dans une psychiatrie très médicalisée sous la tutelle des industries de santé. Inutile de vous dire que lorsque l’Express et Libération ont révélé que le président de la HAS avait oublié, dans un premier temps, de faire état d’une déclaration de conflits d’intérêts de plus de 205 482 euros perçus entre  2008 et  2010 de 28  labos différents, certains psys n’ont pas manqué de voir dans le jugement contre la psychanalyse la main des laboratoires… Sans me prononcer sur ce cas particulier, il est évident qu’existent des « alliances objectives » entre certaines théories biologiques
déterministes et un pouvoir politique sécuritaire, entre une conception médicale des souffrances et les intérêts des laboratoires.

Les attaques récurrentes contre la psychanalyse, ces dernières années, n’ont-elles pas à voir avec une tendance plus générale à imposer une conception très restrictive de la rationalité scientifique ? Tout, dans nos activités, devrait être quantifiable, mesurable, vérifiable immédiatement par l’expérience

Marie-Noëlle Clément. Il est vrai que sévit dans notre société une tendance très excessive au chiffrage
et à la quantification, particulièrement mal venue dans le secteur
sanitaire. Cependant, il y a un champ de la santé où cette démarche est justifiée, c’est celui de l’évaluation de la pertinence des pratiques de soin. Si l’on est malade, on est en droit de connaître l’efficacité de tel ou tel traitement afin de choisir en connaissance de cause. Aujourd’hui, si les recommandations de la HAS pénalisent les approches psychanalytiques et les psychothérapies institutionnelles dans l’autisme, ce n’est pas parce que nous travaillons mal, c’est parce que nous n’évaluons pas le travail que nous faisons avec des outils standardisés reconnus, alors que les cognitivo-comportementalistes l’ont fait dès le début. Et si des études ont commencé
depuis quelques années (notamment par le réseau de recherches visant à évaluer les psychothérapies, sous la coordination de Jean-Michel Thurin et Bruno Falissard), l’évaluation des pratiques soignantes n’est culturellement pas intégrée dans nos institutions et suscite encore beaucoup de résistances. Il est désolant de voir des psychanalystes se réjouir des critiques portées à la validité des évaluations des approches cognitives et comportementales – parfois par les cognitivistes eux-mêmes d’ailleurs –, comme si cela les dédouanait de la nécessité d’évaluer les leurs. L’évaluation des pratiques de soin est à considérer dans une perspective dynamique, comme un support nécessaire de questionnements et d’évolutions.

Fethi Benslama. Il y a, depuis plusieurs années, une guerre à l’intérieur du domaine psy. La psychanalyse va à l’encontre d’une conception dominante aujourd’hui de l’humain qui repose sur « trois moins » : moins de temps, moins de coût et le moins d’interrogation du sens possible. Interroger le sens nécessite du temps d’investigation, d’interprétation, de construction. La conception dominante s’en prend donc à cette tâche. Nous sommes face à ce que j’appellerais une « logicialisation » de tout, c’est la volonté d’inscrire des automatismes et des programmes dans l’existence humaine traitée comme une chose parmi d’autres. La psychanalyse contredit cette visée car c’est une discipline qui traite de la question du sens et de son histoire et pas seulement du signe. Quand Sarkozy dit qu’il ne sert à rien d’enseigner la Princesse de Clèves à des guichetiers, il exprime cette volonté facho-techniciste de priver certaines existences de penser en termes d’histoire et d’historicisation. Mais bien sûr, Sarkozy n’est que le résultat de cet excès de la culture occidentale contemporaine. Prenons garde de ne pas abandonner à ce courant l’idée de l’évaluation, qu’il transforme en fait en dévaluation de tout ce qui interroge l’histoire et la remet au travail. On entend dire que les effets de la psychanalyse ne peuvent être évalués. C’est faux. Il y a quelques années, le New York Times rendait compte d’une étude démontrant que les thérapies psychanalytiques sont celles qui obtiennent les résultats les plus durables. Cette étude n’était pas réalisée par des psychanalystes. Il est tout à fait possible d’évaluer les résultats de la psychanalyse, à condition de prendre le temps d’un suivi des sujets au long cours. La question est, bien sûr, celle des critères de l’évaluation. La HAS aurait dû recommander des recherches sur la réalité avant de délivrer des jugements.

Roland Gori. Je crois que la psychanalyse n’a jamais été socialement évaluée pour la pertinence de ses connaissances et l’efficacité de ses méthodes, mais toujours du point de vue de ses affinités idéologiques avec les valeurs d’une société. Dans la culture d’un
capitalisme paternaliste, la psychanalyse a pu être adulée. Elle était considérée comme un savoir légitimant l’ordre social, avec notamment une vision du sujet responsable pour une bonne part de ce qui lui arrivait. Les théories sur un conflit entre la sexualité et la morale bourgeoise, le désir et la culpabilité, le rapport à l’autorité, entraient en résonance avec les rapports sociaux de production et leurs modes d’aliénation. Aujourd’hui, à l’heure du capitalisme financier, ce savoir « tragique » de la psychanalyse ne séduit plus les promoteurs de la religion intégriste du marché. Comme Pasolini l’avait montré, l’hédonisme de masse fait bon ménage avec une marchandisation généralisée de l’existence humaine. L’individu est un « entrepreneur de lui-même », poussé à la réactivité immédiate, aux relations liquides et jouissives sans égard pour le travail de la culture psychanalytique qui exige du temps, du sens et de l’histoire. De mon point de vue, c’est ce niveau idéologique qui explique aujourd’hui
principalement ce désamour entre la psychanalyse et la nouvelle civilisation des mœurs. Les formes de savoir sont inséparables des pratiques sociales en vigueur à un moment donné, dans une société donnée.

Au-delà même de la question du traitement de l’autisme, le principe d’une articulation entre méthodes comportementales et psychanalyse est-il à exclure a priori ? Si oui, pourquoi ?

Marie-Noëlle Clément. À mon avis, le problème ne doit pas être posé en ces termes. La question est celle de la nécessité, pour toute science, de se construire régulièrement de nouveaux outils intégrant les apports des autres disciplines. Rappelons qu’il y a cinquante ans, les psychanalystes étaient uniquement occupés à explorer le monde des fantasmes, et prendre en compte les facteurs environnementaux était alors considéré comme une manière de fuir le terrain de la réalité psychique. Aujourd’hui, heureusement, nous n’en sommes plus là. Mais une dichotomie s’est installée entre l’attention portée à la construction du sujet et celle portée aux apprentissages, comme si la
seconde ne pouvait découler que de la première. Or, les sciences cognitives nous montrent précisément que le fait de développer leurs compétences est très structurant pour les enfants autistes. Il est fondamental d’intégrer cette dimension à nos approches
psychodynamiques. Cela ne signifie pas forcément reprendre à l’identique les modèles mis au point par les
cognitivistes, mais à l’évidence nous ne pouvons pas ignorer leurs apports.

Fethi Benslama. Dans le cas de l’autisme, aucune approche ne peut prétendre détenir seule la réponse. Les généticiens parlent de maladie multifactorielle, de facteurs épigénétiques et du hasard, c’est complexe et pas très clair… Donc, il faut faire preuve de modestie, de prudence, admettre que nous n’en savons pas assez sur l’autisme. Plutôt, chercher des complémentarités et des collaborations, au cas par cas, en respectant la cohérence des approches.

Roland Gori. On peut confronter les approches, mais je ne suis pas sûr qu’un même thérapeute puisse les amalgamer. Chaque cas est un cas particulier et rien n’empêche que sa prise en charge par une équipe pluridisciplinaire nécessite des soins différents. Mais si cela doit se faire, il faut que ce soit pour des raisons de soin et non pour répondre aux pressions idéologiques des lobbys. Faute de quoi, « la société du spectacle » n’aura pas seulement corrompu la démocratie, elle aura aussi corrompu la connaissance et le soin.

(1) Fethi Benslama est notamment l’auteur de la Psychanalyse à l’épreuve
de l’islam, Flammarion 2004 ; dernier ouvrage paru : Soudain la révolution !
De la Tunisie au monde arabe : la signification d’un soulèvement, Paris, éditions Denoël, 2011.

(2) Roland Gori a publié, en 2011, la Dignité de penser, aux éditions Les Liens qui libèrent, et en 2010, De quoi la psychanalyse est-elle le nom ? aux Éditions Denoël.

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Le Monde du 31 mars 2012

L ‘enveloppe qui déchire

Lille, envoyée spéciale
Malgré des résultats prometteurs, le  » packing « , un soin consistant à envelopper les enfants autistes dans des draps humides, vient d’être interdit par la Haute Autorité de santé. Au grand désarroi de son instigateur, Pierre Delion, pédopsychiatre reconnu. Il ne comprend toujours pas. Lui qui n’a eu de cesse, durant sa carrière, de faire du lien avec les malades et ceux qui interviennent dans le champ de la santé mentale, lui qui est unanimement salué par ses pairs pour son humanisme et son esprit d’ouverture, le voilà plongé au coeur d’une bataille qui le dépasse. Calomnié, humilié, disqualifié. Assigné devant le conseil de l’ordre des médecins de Lille par une association de parents d’autistes, qui se déchaîne depuis des années contre le packing : un soin venu d’Amérique dont il est, en France, le premier défenseur. En vingt ans, le professeur Pierre Delion, chef du service de
pédopsychiatrie du CHRU de Lille, y a formé plusieurs dizaines de confrères. Réservée aux cas d’autisme sévères avec automutilation répétée, la technique consiste à envelopper le patient dans des serviettes humides et froides, puis à induire un réchauffement rapide pour faciliter la relation avec les soignants. Tout sauf un acte de torture si la lettre et l’esprit en sont respectés – ce n’est pas toujours le cas.
Ce qui n’a pas empêché la Haute Autorité de santé (HAS), pressions des associations et des politiques aidant, de lui porter le coup de grâce : dans ses recommandations sur la prise en charge de l’autisme, publiées le 8 mars, elle se déclare,  » en l’absence de données relatives à son efficacité ou à sa sécurité  » et exception faite des essais cliniques autorisés,  » formellement opposée à l’utilisation de cette pratique « .
Qu’aurait-il dû faire pour défendre le packing ? Jouer de ses relations ? Convaincre les parents des quelque 300 autistes qui reçoivent ce soin sans s’en plaindre de témoigner publiquement ? Organiser une conférence de presse ? Pas son style.
Une enfance sans heurts à Tuffé,  » un petit bled de la Sarthe où – ses – parents avaient une toute petite quincaillerie « , une scolarité sans faille qui le mène aux portes du collège Sainte-Croix du Mans, prestigieuse institution jésuite où il apprend – non sans peine – à côtoyer la grande bourgeoisie, sa personnalité propre enfin : rien n’a préparé Pierre Delion au rapport de forces. Il ne connaît que la confiance, l’écoute, le dialogue. La relation humaine. C’est même pour ça qu’il est devenu psychiatre. Il commence sa médecine à Angers en 1968, craint un moment de ne pas y trouver sa place.  » Je ne voyais que des patrons très hautains avec les patients, avec leurs équipes. Jusqu’à ce que je fasse un stage d’externe en psychiatrie. D’un seul coup, je suis tombé sur un médecin qui parlait aux malades, qui prenait ses décisions en accord avec ses infirmiers : je suis resté « , raconte-t-il d’une voix douce, légèrement voilée. On est en 1973. L’année où le ministère de la santé autorise la mise en oeuvre de la sectorisation des soins psychiatriques, inscrite dans les textes en 1958 mais jusqu’alors restée lettre morte.
La psychiatrie de secteur, c’est la rupture avec l’asile. La prise en charge du malade près de son domicile, le soin porté au coeur de la cité grâce au  » potentiel soignant du peuple « , selon le beau mot du psychiatre Lucien Bonnafé. La disparition de la camisole et des neuroleptiques au profit des thérapies relationnelles, largement inspirées de la psychanalyse. Une révolution culturelle et clinique. Quand Delion prend le train de cette  » prodigieuse aventure « , le coup de foudre est immédiat, et son engagement pour cette psychiatrie à visage humain sera indéfectible. Les enfants le passionnent, et ce n’est pas la rencontre avec sa future femme, interne en pédiatrie au CHU d’Angers, qui va l’en détourner. Bientôt, il exerce au Mans la pédopsychiatrie hospitalière. C’est ainsi qu’il découvre le packing, pratiqué aux Etats-Unis pour apaiser les schizophrènes.
Dans le salon vaste et clair où il nous reçoit, l’occupant principal est un grand piano noir. Pierre Delion s’y installe, joue quelques notes avec autant de simplicité que d’autres allument une cigarette. Ces instants de détente envolés, nous revenons au packing. Il y a consacré un livre, des dizaines d’heures
d’enseignement, beaucoup d’énergie et d’espoir. Pourquoi y croit-il tant ?  » Je n’y crois pas, soupire-t-il. En 1984, j’hérite d’un service asilaire avec des
enfants qui s’auto-mutilent. On a tout essayé sur eux, rien n’a marché. Je tente un pack : au bout de quelques semaines, les symptômes d’automutilation disparaissent. J’en parle à mes copains psychiatres, qui me demandent de venir dans leur service faire la même chose : ça marche aussi avec leurs gamins ! Très vite, on m’a demandé de faire des formations… Je ne crois rien du tout, sinon que cela s’est passé comme ça. Rien de plus.  » Dès les années 1990, il réclame l’autorisation de mener une recherche clinique pour évaluer l’efficacité de la technique. Il ne l’obtient qu’en 2007. Trop tard ? Avec la violente publicité menée ces derniers temps à l’encontre de cette approche, l’étude est à peine au milieu
du gué. Les forums de parents qui l’agressent sur Internet ? D’un geste, il écarte le sujet.  » Je n’y vais pas, j’y laisserais ma santé.  » Il préfère se souvenir des 6 500 personnes qui, depuis le début de l’année, ont envoyé une lettre au conseil de l’ordre pour le soutenir.  » Ce qui me permet de tenir, c’est que les gens qui me connaissent me défendent, alors que ceux qui m’attaquent ne me connaissent pas.  »
M’Hammed Sajidi, président de l’association Vaincre l’autisme, qui pourfend le packing depuis plus de cinq ans, ne s’en cache pas : sa première rencontre avec le professeur Delion remonte à février, lors de la comparution de ce dernier devant l’ordre des médecins de Lille. C’est lui qui avait assigné le médecin.  » Nous n’avons rien personnellement contre Delion « , dit-il, mais contre le packing, oui, qu’il qualifie de traitement  » indigne « . Il ajoute n’avoir jamais assisté et ne vouloir  » jamais  » assister à une pratique qu’il assimile à de la maltraitance. Un avis que ne partage pas Karima Boukhari, mère d’un garçon autiste de 10 ans que le packing, pratiqué au CHRU de Lille, a guéri de ses automutilations.  » La première fois, on m’a expliqué comment allait se passer la séance. Moi qui suis d’origine méditerranéenne, cela m’a vraiment fait penser au hammam « , se souvient-elle. Adel avait alors 4 ans et se blessait derrière les oreilles jusqu’au sang.  » Au bout d’un mois, il ne se mutilait plus. Il était devenu beaucoup plus calme et communiquant.  » Après trois ans, les séances ont pu être arrêtées : Adel n’en avait plus besoin.
Pourquoi, alors, un tel déchaînement de violence ? Parce que l’autisme, dans ses formes graves, est lui-même d’une violence extrême. Parce que les draps froids et la contention évoquent des traitements de sinistre mémoire. Et surtout parce que derrière le packing se trouve la psychanalyse. La bête noire des parents d’autistes, trop longtemps confrontés aux propos obscurs et culpabilisants de ses représentants. Au carrefour des peurs et rancoeurs, Delion serait devenu le bouc émissaire de toutes ses dérives. Un comble pour un homme qui n’appartient à aucune école freudienne ni lacanienne, et qui s’est toujours montré critique vis-à-vis de ceux qui font de la psychanalyse un enjeu de pouvoir. Non qu’il la renie ! Il y a été formé avec bonheur, et défend cet outil qui  » a changé la face de son métier « . Lui qui dit avoir peu de regrets a pourtant celui-là : que des psychanalystes  » continuent de
penser comme Freud, et moins bien que lui « , à propos de certaines pathologies.  » Pour moi, la psychanalyse est comme la musique : c’est une culture qui me permet de penser d’une certaine manière. Mais nombre de psychanalystes français trop orthodoxes croient encore pouvoir appliquer à l’autisme les principes du « névrosé occidental poids moyen ». Que cela ait mis les parents dans des états de sidération et de colère, il n’y a rien de plus normal « , juge-t-il.
Avoir la peau du packing, mise à mort symbolique de la psychanalyse… Mme B., qui souhaite garder l’anonymat et dont le fils  » a bénéficié de cette technique plusieurs fois par semaine pendant des années », avance une autre hypothèse. Pierre Delion est  » quelqu’un qui aide à donner du sens, à faire le petit pas de côté qui permet de penser une situation impensable et très mortifère « , estime-t-elle. C’est là que le bât blesse. Car le packing se préoccupe avant tout de la souffrance psychique – souffrance que les parents d’enfants autistes ne veulent pas toujours admettre. Une analyse que prolonge le professeur de neuro-pédiatrie Louis Vallée, qui travaille depuis des années avec le pédopsychiatre au CHRU de Lille.  » Le packing touche à l’inconscient, à ce qui est hors normes. Les parents en veulent d’autant moins qu’une partie de leur souffrance vient justement de ce que leurs
enfants sont hors normes « , avance-t-il. Il ajoute que  » la HAS et les médias se sont laissé prendre au piège d’une démarche émotionnelle « . Ce qui dépasse l’entendement inquiète, perturbe, plus encore dans le champ douloureux du trouble mental. Mais Delion n’est pas un simplificateur. La complexité ne lui fait pas peur, elle l’attire. Il ne la résout pas, il l’accueille.
A Lille, où il a été nommé professeur en 2003, il fait ce qu’il a toujours fait : du lien. Comme dans l’angevine ville de Trélazé, où il demandait, naguère, à descendre dans les mines d’ardoise pour voir les conditions de travail des alcooliques qu’il soignait. Avec les pédiatres de la région, il mène une étude pour prévenir les conséquences sur le nourrisson de la dépression postnatale de la mère. Les résultats sont si probants que l’Association française de pédiatrie ambulatoire tente désormais de la développer à l’échelle nationale. Il anime, à la demande de Martine Aubry – elle le décrit comme  » un vrai humaniste, un homme qui, derrière le scientifique, a toujours le doute  » -, un groupe de travail sur la violence et
l’enfance. Il développe dans les quartiers lillois les plus défavorisés, avec les professionnels de l’école et de la justice, des initiatives concrètes pour prévenir la délinquance des jeunes… Psychiatre dans la cité, encore et toujours.
 » Pierre ne se réduit pas au packing, loin s’en faut ! « , insiste le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron. Sollicité par son confrère pour mettre en place, dans le cadre de la prévention de la violence en classe maternelle, un jeu thérapeutique pour l’académie de Lille, il salue  » la qualité de ses relations avec les gens de l’éducation nationale  » et l’attention constante qu’il porte  » au travail des autres « . C’est pour cela aussi, sans doute, que Delion a reçu une standing ovation des 1 200 personnes venues assister, le 17 mars à Montreuil (Seine-Saint-Denis), au meeting de psychiatrie organisé par le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire. Il n’en fait pas grand cas, mais cela lui a mis du baume au coeur.
Des projets de livres plein les tiroirs, un métier qui le captive, un solide réseau d’amis, trois grands enfants, dont l’un, médecin comme lui, l’a récemment fait grand-père d’une petite Jeanne qui l’émerveille : au fond, l’homme que nous rencontrons est un homme heureux. Mais, depuis que la HAS a marqué le packing de son interdit, il ne dort plus aussi bien qu’avant. Que dire aux parents qui lui ont amené leur enfant pour une séance hebdomadaire ? Aux confrères qui pratiquent ce soin et l’appellent de toute la France pour lui demander conseil ?
Le psychiatre Moïse Assouline, grand spécialiste de l’autisme,  » ne décolère pas de ce qui lui arrive « . Mais il compte sur Delion pour trouver les mots justes. Il précise :  » Si quelqu’un me disait : « Je vous confie mon enfant les yeux fermés », je lui répondrais : « Ne faites pas ça, allez voir Pierre Delion. »  » Si celui-ci peine à se remettre, il sait aussi pouvoir compter sur ses capacités d’adaptation. Ses années de jeunesse aux Glénans – il a exploré en chef de bord tous les pays du Nord à la voile, Groenland compris – l’ont rodé à l’expérience du groupe et des situations imprévues.  » On peut me mettre dans n’importe quelle circonstance… La preuve !  »

Catherine Vincent

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PARUTIONS

Le Monde du 29 mars 2012

Donald W.Winnicott, Lectures et portraits, traduit de l’anglais et présenté par Michel Gribinski, Gallimard, coll. «Connaissance de l’inconscient», 290 p. 22,90 e

On oublie souvent que ce maître de l’école anglaise de psychanalyse dont les oeuvres sont traduites dans le monde entier, fut aussi un excellent chroniqueur et un bon portraitiste, habitué à rédiger des nécrologies de ses amis et collègues. on trouvera dans ce petits recueil de belles évocations de Ernest Jones, James Strachey, John Bowlby. Mais on sera étonnée de voir comment, en 1969, il traite les thérapies comportementales dans un article célèbre où il répond à Carole Holder : «Je veux tuer la thérapie comportementale par le ridicule. Sa naïveté devrait faire l’affaire. Sinon il faudra la guerre et la guerre sera politique, comme entre une dictature et la démocratie.» Et c’est en effet avec un humour féroce qu’il décrit les résultats pitoyables de ce conditionnement qui déshumanise le sujet et qui, après trente ans de règne, est aujourd’hui sérieusement contesté dans le monde anglophone.
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Rappels

Le corps retrouvé. Franchir le tabou du corps en psychiatrie (Pierre DELIO, Hermann 2010)

Histoire de la Psychiatrie de Jacques HOCHMANN (PUF Que sais-je ? 2011)

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Pour des usagers de la psychatrie acteurs de leur propre vie. Rétablissement, inclusion sociale

Tim GREACEN et Emmanuelle JOUET ( ERÈS )

L’article suivant est paru dans Libération le 28 mars

Empowerment En psychiatrie aussi, il faut avoir cure du patient Par ÉRIC FAVEREAU

Empowerment… Voilà un mot anglo-saxon que l’on ne sait trop comment traduire dans l’univers médical : «responsabilisation», «donner le pouvoir», voire «permettre à» ? En matière de lutte contre le sida, l’idée d’empowerment a été utilisée pour les femmes africaines : il s’agissait de mettre au point des stratégies de prévention qui leur donnent les moyens de se défendre, qu’elles aient le pouvoir de dire oui ou non à leur mari. En cancérologie aussi, cette notion a été très utile pour aider à ce que le malade arrive à garder un peu de liberté face à la puissance de la prise en charge médicale. Et voilà que, depuis peu, ce mot est utilisé en psychiatrie. Un livre, recueil de recherches, vient de sortir sur ce thème. Son titre est limpide : Pour des usagers de la psychiatrie acteurs de leur propre vie (1).

Ce livre dérange, car il s’attaque à une certaine approche fataliste de la maladie mentale. Il commence par un long témoignage, celui de Debra, jeune femme qui vit en Nouvelle-Zélande et qui depuis son enfance entend des voix. Quand j’ai terminé ma scolarité,raconte-t-elle, elles sont devenues plus fréquentes, plus intenses, et elles ont fini par prendre le contrôle. On m’a placée dans un hôpital psychiatrique, je suis devenue malade mentale. L’hôpital a été mon nouveau monde, et mes voix, ma famille… Pendant le temps que j’ai passé [en institut], personne ne m’a demandé ce que racontaient les voix. Les traitements, tout en ayant pour effet de m’affaiblir, ne les ont jamais modérées. Puis elle fait part de son travail sur ces satanées voix : les maîtriser, les déplacer, mais aussi les utiliser. Elles m’avaient tant absorbée que je n’avais eu du temps pour personne d’autre. Prudemment, maladroitement, je me suis attachée à inviter de vraies personnes dans mon monde. Plus tard, elle en a fait sa force au point de travailler dans la santé mentale.

C’est là toute l’idée de cet empowerment : se servir de l’expérience du malade plutôt que de s’appuyer sur la seule compétence des soignants. Comme le dit Tim Greacen, qui dirige le laboratoire de recherche à l’hôpital psychiatrique Maison Blanche et coordonne cet ouvrage, c’est un changement de paradigme : Il faut envisager l’usager comme moteur de sa vie, au sein d’une collectivité dans laquelle il est citoyen à part entière. Les services de santé mentale [doivent être] configurés de manière à soutenir son autonomie plutôt que de perpétuer son rôle traditionnel de patient.