par Philippe Grauer
La psychiatrie mondiale alignée sur l’américaine vit depuis plus de 30 ans sous le joug du DSM qui fait des psychiatres, ainsi que des généralistes, de nouveaux médecins à la Molière, mâtinés d’Ubu psy.
Pas vraiment utile à la recherche à l’enseigne pourtant de laquelle il était dédié, le DSM a réussi à dégager la psychiatrie de l’hégémonie psychanalytique en balançant l’enfant clinique avec l’eau du bain. Bien entendu les nouvelles noces de la psychiatrie avec la biologie n’ont pas mis au monde de nouvel enfant : couple stérile. Le comportementalisme associé aux miraculeuses neurosciences(1) écervelant la clinique ont platement et cruellement repris le dessus. Où en est-on ? à nulle part, voire à nul pire. David Healey soutient même qu’on est en train d’atteindre des taux de mortalité dus à l’usage diafoiresque des antidépresseurs, impressionnants.
Patrick Landman et son STOP DSM poursuivent leur action. il s’agit de rien de moins que restituer à la psychiatrie un visage humain. La psychiatrie toute dégradée qu’elle soit, demeure omniprésente au cœur même de la clinique de l’ensemble du carré psy. Notre psychothérapie relationnelle, tout comme la psychanalyse, qui œuvrent à partir d’une problématique de dynamique de subjectivation, ont tout intérêt à soutenir les efforts des psychiatres, antipsychiatres, praticiens de la psychothérapie institutionnelle, sans oublier les 39, pour réenchanter le monde de la pratique psychorelationnelle.
Nous verrons bien ce que peut promettre le couplage de la CFTMEA, – Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, chère au cœur de Patrick Landman avec une CFTMA – Classification française des troubles mentaux de l’adulte à venir. Prenons cette entreprise comme un pas dans le bon sens. La grande question de la médicalisation de l’existence reste à l’horizon. Nous aussi avons à dire à propos de la clinique attaquée par le DSM et la mentalité santé mentale qui l’accompagne, à partir de l’expérience et méthodologie disciplinaire de la nôtre. Encore faudra-t-il aussi que nos collègues amis psychiatres et psychanalystes se rendent compte de l’intérêt du dialogue et de l’alliance avec nous, qui souhaiterions ne pas nous contenter de compter les trains qui passent mais intégrer notre propre train au bon convoi.
– Stop DSM – Patrick Landman, Tristesse buiseness [mis en ligne le 29 avril 2013].
– Patrick Landman, Dangerosité du DSM5 [mis en ligne le 20 octobre 2013].
– Philip Thomas (trad. Patrick Landman), Pourquoi les neurosciences n’expliquent pas la folie ? analyse d’Élisabeth Roudinesco, introduction par Philippe Grauer [mis en ligne le 14 mars 2014].
– Patrick Landman, TDAH – un discours sur le cerveau qui ne tient pas la route [mis en ligne le 19 mars 2014].
COMMUNIQUÉ du Collectif Initiative pour une Clinique du Sujet STOP DSM : Jean-Claude Aguerre, Guy Dana, Marielle David, Francis Drossart, Tristan Garcia Fons, Nicolas Gougoulis, François Kammerer, Patrick Landman, Claude Léger, Jean Baptiste Legouis, François Leguil, Geneviève Nusinovici, Bernard Odier, Michel Patris, Gérard Pommier, Louis Sciarra, Jean- François Solal, Dominique Tourrès Landman, Jean-Jacques Tyszler, Alain Vanier
Au moment où le DSM 5 est publié en français nous tenons à réaffirmer notre opposition radicale aux fondements et à l’utilisation de ce manuel. Depuis plus de trente ans, le DSM a imposé sa domination sur la psychiatrie mondiale. Conçu comme un instrument statistique pour la recherche épidémiologique et pharmacologique, il a, petit à petit, envahi l’ensemble des domaines de la psychiatrie et, en particulier, l’enseignement aux différents acteurs de la santé mentale, ainsi que la pratique clinique. Se voulant un instrument de renouvellement et de modernisation de la démarche diagnostique et de sa fiabilité, il a échoué : les diagnostics qu’il répertorie ne sont ni fiables, ni valides, comme le prouvent la généralisation des comorbidités. Qui plus est, ils ne sont pas vraiment utiles pour la recherche scientifique.
Le DSM a contribué à détruire les bases de la clinique traditionnelle au nom d’un espoir dans l’arrivée prochaine de marqueurs biologiques, qui ne sont pas au rendez vous. Il a ainsi, en soutenant cette croyance, fait le lit du pire réductionnisme scientiste en privilégiant le modèle biologique et médical, au détriment de l’environnement social et de la réalité psychique. Sa démarche, fondée sur une mise en coupe réglée, comportementale, des troubles mentaux, a brouillé la ligne de partage entre le normal et le pathologique, entraînant des fausse épidémies, l’invention de chimères, une surpathologisation des émotions [souligné par nous. NdlR] et des comportements, jusqu’aux excès qui font partie de la vie, avec des surdiagnostics, en particulier chez les enfants. En isolant les troubles mentaux de leur contexte d ‘apparition, il en a fait des cibles privilégiées pour les médicaments et a favorisé la surprescription en abaissant les seuils d’inclusion.
– Pam BELLUCK & Benedict CAREY, DSM 5 – Le guide de la psychiatrie perd le contact avec la science, 6 mai 2013.
– Patrick LANDMAN, L’Autisme et la querelle des classifications nosographiques
, mis en ligne le 3 mars 2012.
– Marcelle MAUGIN à la Journée d’Étude AFFOP-SNPPsy « Sauvons le sujet », DSM-4 – Souriez vous êtes « renommés », mis en ligne le 9 mai 2012.
– DSM
– CFTMEA
– CIM
– DSM V
– RANDOLPH Michael, L’ombre toujours portée de Kraepelin sur le Carré psy.
Le DSM, qui n’a aucun fondement scientifique solide, s’est imposé néanmoins comme instrument de référence de l’économie de la santé et des pratiques d’évaluation des administrations sanitaires. Il a permis le développement d’une pensée unique, d’une novlangue, ruinant les conditions d’un débat scientifique honnête dans le champ de la santé mentale d’autant que les conflits d’intérêts qui ont émaillé son histoire, ont créé une grave crise de confiance, de légitimité et de fiabilité au sein de la psychiatrie mondiale.
Pour toutes ces raisons cliniques, éthiques, scientifiques et de santé publique, nous appelons à récuser la référence au DSM 5, à utiliser préférentiellement la CFTMEA (Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent) et la future CFTMA (Classification française des troubles mentaux de l’adulte) qui va paraître à la fin de l’année 2015, et à ouvrir un large débat sur les classifications.
On the occasion of the publication of the French version of the DSM 5 (fifth edition of the Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), we wish to reaffirm our radical opposition to the foundations and use of the Manual. For more than thirty years, DSM has dominated the world’s psychiatric community. Originally a statistical tool intended to serve epidemiological and pharmacological research, it progressively invaded the entire field of psychiatry and especially its teaching to the different mental health actors, as well as its clinical practice. The DSM has failed in its effort to renew and modernize the diagnostic procedure and its reliability: the diagnostic categories listed in it are neither reliable nor valid, as the generalization of comorbid disorders clearly shows. Moreover, their usefulness for scientific research is equally dubious.
The DSM has helped destroy the foundations of traditional clinical psychiatry, in the name of a hope for a soon-to-come discovery of biological markers, a hope that has failed to materialize. In supporting this belief, it has created a fertile ground for the worst kind of scientific reductionism, favoring the biological and medical model over the social environment and psychic reality. Its approach, based on the systematic behaviorist exploitation of mental disorders, has blurred the lines between the normal and the pathological, giving rise to false epidemics and chimeras, encouraging the over-pathologizing of emotions and behavior, including the extremes that are part of human life, as well over-diagnosis, especially concerning children. Separated from the context in which they manifest, mental disorders have become the priority targets of medication, leading to over-prescription by lowering the inclusion thresholds.
The DSM, which lacks any kind of solid scientific basis, has nevertheless become the reference tool for the entire healthcare economy and the assessment methods used by healthcare authorities. It has encouraged the development of a uniform way of thinking and a kind of newspeak, destroying the conditions of a honest scientific debate in the field of mental health; because the numerous conflicts of interests in its history, it has also created a severe crisis of trust, of legitimacy and reliability within the world’s psychiatric community. For all these clinical, ethical, scientific and public health reasons, we call for a rejection of the DSM as a reference. Instead, we encourage clinicians to refer to the CFTMEA (French Classification of Child and Adolescent Mental Disorders), as well as the future CFTMA (French Classification of Adult Mental Disorders), which will be issued in late 2015, and open up a wide public debate on the questions surrounding these classifications.