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Glossairede la psychothérapie

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DSM-5

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le DSM mourant les perspectives ne manquent pas

Le DSM est probablement en train de perdre la partie. Bonne inattendue si rapidement nouvelle. Cela ne se jouera pas en un jour ni ne s’effectuera sans luttes. Nous risquons d’assister à un combat d’envergure entre psychiatres biologistes et comportementalistes. Si les deuxièmes perdent, les troisièmes, les psychiatres psychanalystes ont perdu déjà et la psychanalyse se verra expulsée de la psychiatrie. Que deviendra une psychiatrie purement organiciste, soignant les maladies mentales comme le cancer ? le comportementalisme se réfugiera-t-il en psychologie, d’où il vient ? quel bizarre avenir pour une psychanalyse aux couleurs de la psychologie.

Comment en conséquence vont se réorganiser les rôles et les fonctions dans le cadre du carré psy ? les deux décennies qui viennent connaîtront des remaniements passionnants, au cours desquels on peut espérer que la psychanalyse trouve, parvenue à la cinquième génération, un second souffle dans une ouverture et une créativité renouvelées, pendant que la psychothérapie relationnelle, hopefully, appelée à jouer un rôle important, continuera de se transmettre dans ses bonnes écoles hors les murs universitaires et développera sa clinique dans la rigueur et sa pensée dans l’originalité.

Il n’est pas interdit de prévoir qu’enfin les deux disciplines de la dynamique de subjectivation engagent le dialogue que les rendez-vous de l’Histoire ont jusqu’ici peu favorisé. Voici venir peut-être le temps de l’intégrativisme et de la multiréférentialité. Alors, courage, et au travail tout le monde !

Philippe Grauer

voir également

DSM
Allen Frances mis en ligne le 13 mai 2013.

DSM I et II (1952-1968)
DSM-III (1980)
DSM-III-R (1987)
DSM-IV et DSM-IV-TR (1994-2000)
DSM-5 2013



FRONDE CONTRE LA PSYCHIATRIE À OUTRANCE

Enquête. La nouvelle édition du DSM-5, l’ouvrage américain qui fait autorité dans le monde de la maladie mentale, élargit le champ des troubles et des traitements. Ses opposants donnent de la voix.

Par Éric Favereau

tous fous

Tous fous, comme le suggère le DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, et 5 pour cinquième édition)? Dans quelques jours, vous aurez la réponse : la nouvelle bible du diagnostic psychiatrique sera rendue publique à l’occasion du congrès de l’APA (l’Association des psychiatres américains) qui se tient du 15 au 18 mai à San Francisco. Le DSM – 5 est l’ultime version d’un ouvrage qui règne sur la psychiatrie mondiale en décrivant, une par une, les 450 pathologies mentales qui nous menacent.

la colère gronde

Alors que faire ? Se cacher ? Et si nous étions tous un peu moins fous que les auteurs ne l’écrivent ? Car pour la première fois, la colère gronde, des pétitions et des manifestes circulent, y compris outre-Atlantique, pour «dénoncer cette psychiatrisation à outrance de nos modes de vie». Au point qu’aux États-Unis, le très sérieux National Institute of Mental Health prend ses distances.

frontière

«On doit se battre,» dit avec force le psychanalyste Patrick Landman, qui préside en France le collectif Stop DSM-5 . Et énumère les dangers qui nous guettent : «Non au surdiagnostic, non à la pathologisation de la vie quotidienne, non à la surprescription médicamenteuse.» On pourrait en sourire, comme on se moque du dernier jeu vidéo, dégager en touche et pointer le réflexe antiyankee, mais l’enjeu est réel. Et crucial puisqu’il concerne la frontière sans cesse redéfinie entre le normal et le pathologique. «C’est le triomphe du symptôme, la mort du sujet avec son histoire personnelle et singulière», insiste Patrick Landman qui ajoute, avec gravité : «Aujourd’hui, si vous voulez publier dans une grande revue psychiatrique internationale, vous devez passer par la grille DSM. En France, dans les universités de médecine, c’est la seule grille nosographique qui est enseignée. C’est elle qui façonne, c’est elle qui décide.»

querelles d’experts tatillons ?

Pas tout à fait. Un exemple de ces implications quotidiennes : jusqu’ici, le deuil pathologique renvoyait à une souffrance de plus de deux mois. Avec le DSM – 5, ce sera quinze jours. «Je peux vous annoncer, dans les années à venir, de nouvelles épidémies avec ces nouveaux diagnostics», lâche le pédopsychiatre Guy Dana. Autre cas de figure, l’apparition chez les personnes âgées d’un trouble dysfonctionnel de l’humeur («trouble mental mood disfunction»). «Il y a une volonté de prévoir la maladie d’Alzheimer, pourquoi pas ? Le DSM – 5 crée ce symptôme, c’est-à-dire la survenue de petits troubles cognitifs avec l’âge. Ils vont faire des tests, les répertorier, et puis… On traite, mais on traite quoi ?» poursuit le Dr. Dana. Un nouveau diagnostic nécessitant un nouveau traitement, le cercle vicieux est enclenché. Il est temps de traiter l’APA et son DSM fou eux-mêmes, il est temps de traiter la machine à cataloguer et traiter son semblable mais le traiter de quoi ? d’humain.

est-ce grave, docteur ?

Autre exemple, plus léger : vous avez trois ou quatre accès de gourmandise dans le mois. Est-ce grave, docteur ? L’hyperphagie surgit dans le DSM – 5. Ce diagnostic est construit à partir d’un symptôme qui se définirait comme un trouble des conduites alimentaires sans vomissement. Et hop, on vous diagnostique, vous êtes étiqueté, et pourquoi pas, on vous traite. «Aucun doute, dans quelques mois des articles dans les revues psychiatriques pointeront une épidémie d’hyperphagie», ironise Patrick Landman. Le danger est là. Avec le DSM – 5, le pathologique envahit toute la sphère du quotidien : tous les dix ans, l’usage de ce manuel agit comme une pieuvre qui prendrait dans ses tentacules tous les gestes de la vie quotidienne(1)

pourfendeur

Paradoxalement, l’attaque la plus sévère contre cette bible est venue de l’intérieur. Lancée par le professeur américain Allen Frances, le responsable du groupe d’experts qui a abouti à la publication en 1994 du DSM – 4. «Invité à un cocktail de l’American Psychiatric Association, j’y ai retrouvé beaucoup d’amis. Ils étaient très excités par la préparation du DSM – 5, raconte-t-il dans un entretien à la revue Books. L’un parlait d’une nouvelle possibilité de diagnostic, celle du risque de psychose. Il serait désormais envisageable de prévoir qu’un jeune deviendra psychotique. J’ai tenté de lui expliquer le danger d’une telle idée : nous n’avons aucun moyen de prédire qui deviendra psychotique, et il y a fort à parier que huit jeunes sujets ainsi labellisés sur dix ne le deviendront jamais. Le résultat serait une inflation aberrante du diagnostic, et des traitements donnés à tort à des sujets jeunes, avec des effets secondaires graves.» C’est comme ça que lui, l’artisan du DSM – 4, est devenu le pourfendeur du DSM – 5.

conséquences

Quand on l’interroge sur les conséquences du DSM – 5, Allen Frances répond : «Il faut faire très attention quand on pose un diagnostic, surtout sur un sujet jeune. Parce que, même s’il est faux ou abusif, ce jugement risque de rester attaché à la personne toute sa vie.» Et le psychiatre d’ajouter : «Les données épidémiologiques sont structurellement gonflées. C’est l’intérêt des grandes institutions publiques de recherche, aux États-Unis, de se référer à des données surévaluées. Cela leur permet de décrocher davantage de crédits. Les compagnies pharmaceutiques, elles, tirent argument des taux élevés pour dire que beaucoup de malades ne sont pas identifiés et qu’il faut élargir le marché.»

machine infernale

On aurait tort de prendre à la légère ces dérives potentielles. «Tout nouveau diagnostic cible des gens, qui vont ensuite recevoir des psychotropes. C’est une machine infernale», insiste Patrick Landman, qui vient de publier un livre sur le sujet (1). «Si au moins cela marchait», lâche-t-il. Dans les pays de l’OCDE, la consommation d’antidépresseurs a augmenté en moyenne de 60 % entre 2000 et 2009, et pourtant rien n’indique que le taux de dépression ait diminué. En Islande, plus gros consommateur de ces molécules dans le monde, le taux de suicide reste stable depuis dix ans.

ravages chez l’enfant

«Le plus grave, insiste Patrick Landman, c’est le règne de la pensée unique.» «Ce qui m’inquiète, conclut le Dr Tristan Garcia-Fons, pédopsychiatre, ce sont les ravages chez l’enfant. Le DSM -5 fabrique des enfants anormaux. Tout enfant qui s’écarte de la norme devient malade. C’est pour cela qu’il ne faut surtout pas se taire.»

(1) «Tristesse Business, le scandale du DSM – 5», Max Milo, 12 €.-



Libération, 7 mai 2013

DEPUIS VINGT ANS LES MALADIES MENTALES RESTENT PLUTÔT STABLES

Interview. Épidémiologiste et psychiatre, Bruno Falissard n’est pas alarmiste sur le DSM – 5.
Recueilli par Éric Favereau

Bruno Falissard a un parcours atypique dans le monde de la psychiatrie et de la recherche. Polytechnicien, il enchaîne avec médecine, devient psychiatre dans un service à tendance biologique puis épidémiologiste. Nommé professeur de santé publique, il dirige l’une des équipes de recherche les plus importantes en France, à la Maison de Solenn, à l’hôpital Cochin.

peut-on parler de nouvelles maladies mentales, voire d’évolutions sensibles ces vingt dernières années ?

Si l’on prend les grandes maladies, il y a peu de changement. La schizophrénie ? C’est stable, peut-être en légère diminution. L’hypothèse de cette baisse renvoie à une meilleure prise en charge des grossesses : protection améliorée contre les virus par des vaccinations, moins de traumatismes du cerveau lors de l’accouchement. L’anorexie mentale augmente, mais moins qu’on ne le dit : si on écoute les médias et les familles, on peut croire qu’il y a explosion. En fait, c’est l’expression publique qui a explosé : les données épidémiologiques font certes état d’une augmentation, mais elle est limitée. L’anorexie n’est pas devenue la maladie du XXIe siècle.

et les troubles bipolaires, dont on parle sans cesse ?

Dans le cas des troubles bipolaires chez l’enfant, on a assisté à un phénomène spectaculaire : avant, en Europe, on n’en voyait pas, maintenant on dit qu’il y en a peut-être un peu. Aux États-Unis, cela a été un raz-de-marée, on ne parlait que de ça. Certains ont mis en avant les différences avec l’Europe, qu’il y avait là-bas beaucoup de prescriptions d’antidépresseurs qui pouvaient provoquer des virages maniaques. L’explication me paraît plus culturelle, voire sociétale : les Américains ont une clinique sémiologique précise quant au recueil des symptômes, alors que la nôtre est plus phénoménologique, plus proche du vécu subjectif des patients. Aux États-Unis, à cause des assurances, les psychiatres doivent renseigner précisément ce qui s’est passé. Nous n’avons pas le même regard. Il faut dire aussi que certains collègues américains ont pensé qu’il y avait là un «coup» à jouer, une découverte historique. Certaines firmes pharmaceutiques ont pu aussi y voir de nouveaux marchés. Mais le soufflé est en train de retomber.

il n’empêche que l’on parle de plus en plus d’enfants super agités

Les États-Unis nous ont renvoyé, là aussi, une situation particulière. Dans les congrès, dans les articles, la notion d’enfant «hyperactif» est devenue incontournable à partir des années 80. Avec cette précision : «En plus il y a un traitement qui marche très bien.» Et les prescriptions sont montées en flèche. En France, on a répondu qu’un symptôme n’est pas une maladie. Que porter le diagnostic d’hyperactivité sur un enfant est réducteur, et qu’on oublie de regarder le contexte et la trajectoire de vie du patient. Mais il faut être honnête, le traitement médicamenteux peut être efficace, et parfois impressionnant. Du coup, la machine s’est peut-être emballée aux États-Unis : dans certains États, 10% des garçons en fin d’école primaire sont sous Ritaline.

et en France ?

C’est dix fois moins.

il y a bien un risque de surdiagnostic ?

Oui, mais à un moment il faut bien trancher : à partir de quand y a-t-il un trouble ? Qu’est-ce qui fait qu’il y a un trouble ? En France, c’est lorsque quelqu’un sonne à la porte d’un médecin et vous dit «je souffre». Et ça, ce n’est pas le DSM qui le décide, c’est le patient. Le problème de l’enfant, c’est qu’il ne vient pas tout seul, ce sont les autres qui le trouvent malade.

pensez-vous que tout le comportement humain serait menacé d’un diagnostic psychiatrique ?

Soyons prudents, ce n’est pas si caricatural. Dans le DSM – 5, il devait y avoir, par exemple, l’addiction à Internet, ils l’ont retiré pour éviter ces considérations complexes sur ce qui est normal et ce qui est pathologique. Et puis, attention au faux débat : les maladies sont avant tout des concepts de médecin, pas toujours pertinentes pour le patient concerné.

dans le DSM – 5, le seuil pathologique du deuil passe de trois mois à quinze jours. A quoi ça rime ?

À rien. Certains disent que toute souffrance ne doit pas être médicalisée : dans la vie, il est normal d’être malheureux, de souffrir, par exemple après un deuil ou une rupture sentimentale. C’est un élément essentiel de la vie humaine. D’autres font remarquer que certains sujets endeuillés souffrent terriblement et que, s’ils souhaitent un traitement pour les soulager, il n’y a pas de raison de le leur refuser. Difficile de trancher. Mais c’est bien d’en débattre (2)

le diagnostic, n’est-ce pas surtout la fin du sujet ?

Je l’entends de la part de mes collègues : une fois l’étiquette posée, on oublie la personne qui est derrière. Selon un collègue économiste, Claude Lepen, «en ce moment, on observe un échec de la moyenne» avec la médecine personnalisée.

qu’est-ce que cela veut dire ?

Nous avons été trop loin dans la médecine fondée sur les preuves. Cette médecine reposant sur des études statistiques concerne un patient moyen. Si la médecine fondée sur des preuves a permis de rationaliser les prises en charge, elle a conditionné les médecins à penser que, derrière leur patient, il y a un cas d’école, un patient moyen. En santé mentale, c’est plus lourd, et encore plus en pédopsychiatrie où l’on accueille généralement toute une famille en consultation. Pour dire les choses simplement, le patient moyen n’existe pas. La moyenne permet de simplifier les problèmes, ce qui peut être utile, mais en face de vous, vous n’avez jamais de patient moyen (3).

vous craignez l’arrivée du DSM – 5 ?

Pourquoi avoir peur ? Pour être publié dans de grandes revues internationales, il faut passer par le DSM – 5, c’est le bon côté, au moins on parle tous de la même chose, même si c’est réducteur.

d’autres stigmatisent la montée en puissance de l’industrie pharmaceutique

Hier, peut-être… Moi, je préférerais qu’elle soit plus présente. Pour autant, que la présence de l’industrie soit trop forte en médecine, c’est une évidence, et que ce soient les firmes qui évaluent les produits qu’elles vendent, c’est un problème. Mais je n’ai jamais vu une firme inventer une maladie, même si elles peuvent se dire : «Tiens, il y a un coup à jouer.»

La question des causes est-elle encore pertinente en psychiatrie ?

Qu’est-ce qui rend fou ? Une cause virologique, génétique, psychique ? Cette notion ne fonctionne pas en psychiatrie. Quand on prend le comportement d’un être humain ou l’expression de ses émotions, comment établir une cause ? De mon point de vue, il y a derrière la notion de cause deux situations. La première relève d’une perspective de santé publique : on ne recherche pas les causes mais l’élément sur lequel agir pour que les gens aillent mieux. Et on dit ensuite que c’est la cause. La seconde se rencontre en clinique. Des parents me disent : «Mon enfant est hyperactif, mais à cause de quoi ? De nous ? De la société ?» Ils ont besoin que je leur raconte une histoire qui donne du sens au comportement de l’enfant. Nous tentons de donner du sens, mais au fond, c’est du storytelling.

Et la psychanalyse ?

Comment le nier ? Elle dit des choses très pertinentes, surtout en pédopsychiatrie. Elle permet de se repérer dans des situations d’entretien difficile. Elle est clouée au pilori en ce moment, c’est une chasse aux sorcières. Bien sûr, elle a été à l’origine d’une grande souffrance chez les parents d’enfants autistes, mais il ne faut pas oublier la force de cette théorie.

Que vous a appris l’épidémiologie finalement ?

Elle permet de mettre à plat les problèmes avec une certaine neutralité, même si ce n’est pas toujours spectaculaire. Elle nous interroge. Par exemple, il y a dix fois plus de filles anorexiques que de garçons, et deux fois plus de femmes déprimées que d’hommes. Pourquoi ? Il y a un peu plus d’hommes schizophrènes que de femmes. Et les patients schizophrènes ne sont pas nés de façon égale durant l’année. Comment l’expliquer ?



Libération, 7 mai 2013

AUX ÉTATS-UNIS LA GRANDE MISÈRE DE LA PSYCHIATRIE

La chute des budgets de santé mentale condamne les malades à la rue ou à la prison.

De notre correspondante à Washington Lorraine Millot

Plus de maladies, plus de malades… mais moins de soins ! Aux États-Unis, c’est la santé mentale elle-même, comme on dit ici, qui mérite un diagnostic de schizophrénie aiguë. Tandis que les psychiatres américains identifient toujours plus de troubles, les budgets de soins ont été sabrés ces dernières années, abandonnant de plus en plus de malades à la rue, aux urgences ou… aux prisons. De 2009 à 2012, les États fédérés, principaux responsables du soin psychiatrique aux États-Unis, ont sabré 4,35 milliards de dollars dans leurs budgets de santé mentale (sur un total de 37 milliards par an), a décompté l’association des directeurs de programmes de santé mentale (NASMHPD). Sur la même période, le nombre de patients requérant des soins augmentait de «près de 10 %» selon le même organisme.

Engagé dans les années 60, le mouvement de fermeture des hôpitaux psychiatriques s’est poursuivi. En 1955, les États-Unis comptaient un lit en psychiatrie pour 300 habitants. En 2010, le ratio était de 1 pour 7 100 Américains, et 4 000 lits ont encore été supprimés entre 2010 et 2012. A l’origine, l’idée était de soigner les malades plus près de chez eux, en milieu ouvert. En pratique, cela signifie souvent les abrutir de médicaments ou les abandonner à leur sort. Les shérifs se plaignent de perdre des journées entières à récupérer les malades et ne pas savoir qu’en faire, si ce n’est les déposer en prison.

Moins d’un tiers des adultes souffrant de trouble mental sont soignés, estime le National Alliance on Mental Illness (Nami), un des lobbys du secteur. «Nous dépensons l’argent à mauvais escient : dans les prisons, aux urgences des hôpitaux ou dans les refuges pour SDF quand les malades sont sérieusement atteints», s’indignaient les directeurs de programmes de santé mentale dans un rapport publié l’an dernier. «Depuis les dernières tueries de masse [souvent commises par des malades mal ou non soignés, ndlr], on commence tout de même à voir un possible retournement, observe Ted Lutterman, chargé de recherches pour la NASMHPD. Plusieurs États ont annoncé qu’ils allaient restaurer certains financements. Peut-être sommes-nous enfin à un tournant.»



7 mai 2013

LA JOURNÉE CLASSIQUE DU DR. S., PSY À ANNECY

Reportage. Douze patients, beaucoup de troubles liés au travail : «Libération» a assisté aux consultations d’un psychiatre.

Envoyé spécial à Annecy Éric Favereau

«Regardez, le DSM, je l’ai et je m’en sers pour tenir mon téléphone, s’amuse Marc S. Autrement ? Non, c’est rare que je le regarde…» Voilà un psychiatre comme on les aime, simple, pas prétentieux. Il fait son boulot du mieux qu’il peut. Et en vit correctement. Un temps médecin hospitalier dans une unité psychiatrique d’Annecy (Haute-Savoie), il s’est installé dans un petit trois-pièces, à quelques encablures du lac. Son cabinet est sobre ; devant son bureau, deux fauteuils, et sur le côté, l’ordinateur. La salle d’attente est chaleureuse. «C’était un vieux rêve que j’avais, je suis en secteur 2, je prends autour de 70 euros, dit-il, mais cela dépend évidemment du patient, parfois c’est moins.»

Nous l’avions rencontré par un ami commun, et lors de la discussion, il avait lâché : «Je suis sidéré de ce qui se passe avec les troubles de l’humeur. Les labos font pression, ils psychiatrisent un peu tout, ils nous poussent à poser ce diagnostic pour qu’ensuite nous prescrivions des antipsychotiques. C’est lourd, ces traitements, et cela ne me paraît pas en rapport avec ce dont souffrent certains de mes patients.» Quelques mois plus tard, nous lui avons proposé de suivre une de ses journées de consultation, en l’interrogeant sur les patients (1) qu’il allait recevoir, et sur la sortie prochaine du DSM – 5.

Est-ce que cette nouvelle version pourrait lui être utile ? Marc S. n’a rien contre les médicaments. Pour autant, il ne se sent pas loin du monde de la psychanalyse : sur son bureau, un tome des séminaires de Lacan est lourdement annoté. Ce jour-là, il reçoit 12 patients. «Une journée classique. J’ai plutôt plus de femmes que d’hommes, des névroses surtout, mais aussi quelques patients plus lourdement atteints.» Et quid du symptôme ? «Plus jeune, j’avais besoin de mettre un diagnostic. Maintenant, beaucoup moins, je suis plus tolérant, plus ouvert. Je sais la limite de mettre les gens dans des cases, dans nos cases, précise-t-il. On s’enferme à ne voir qu’un symptôme, et non un sujet

petites brimades

La journée débute par une patiente d’une trentaine d’années. En arrêt maladie depuis neuf mois. «Souffrance au travail, dit-il. Non-reconnaissance, petites brimades aussi. Quand je la vois, je ne décèle pas de syndrome dépressif, mais si elle se remet trop vite au travail, elle peut décompenser vraiment. On est sur une problématique d’une personne très consciencieuse qui craque.» Elle prend un traitement antidépresseur. «La mettre dans une case diagnostic ? Je ne vois pas laquelle. Mon rôle est de la soutenir, et l’aider dans un projet progressif de reprise de travail.» En parcourant son agenda, le médecin observe : «Je n’avais pas noté, mais en fait, j’ai pas mal de troubles liés au travail.» Arrive une autre patiente qu’il suit depuis trois ans. Une femme, avec un passé psy, des passages à l’acte suicidaire. «Je n’ai pas posé de diagnostic, elle a des troubles du caractère, elle peut s’emballer facilement.» Il la voit tous les mois. «On pourrait lui mettre quatre ou cinq diagnostics. D’autres médecins lui auraient peut-être prescrit un antipsychotique… moi, non. Avec des antidépresseurs, ça ne marche pas trop mal.»

De nouveau, une femme. Elle a 50 ans, est venue consulter «dans un contexte de recrudescence de crises d’angoisses». «Elle prend des antidépresseurs. Elle vient, on parle, c’est un peu une psychothérapie, toutes les semaines. Il y a une vraie souffrance, elle n’a pas digéré une séparation.» En début d’après midi, un jeune homme d’origine sud-américaine est là, un peu poussé par ses parents qui s’inquiètent de son impulsivité au travail. «Il vient, il est demandeur, mais je ne sais pas trop de quoi, note le médecin. C’est un enfant adopté. Il n’a pas de traitement, il ne participe pas beaucoup à l’entretien. Même si ce n’est pas très passionnant, on ne sait jamais, cela peut s’ouvrir.» Un diagnostic ? «Cela pourrait peut-être être utile, mais là, je ne sais pas lequel.»

Pour la patiente suivante, une femme de 46 ans qu’il suit depuis dix ans, il n’a guère de doutes. «Un trouble bipolaire, son traitement marche bien. Elle a besoin de venir tous les mois, cela la rassure, on a de bons rapports. Voilà, je l’accompagne, elle n’a jamais fait d’épisodes majeurs depuis.» Au tour d’une autre, malmenée, surpressurée dans son travail : «Elle fait une forme de burn-out. Que pourrait-on dire comme diagnostic ? Dépression réactive. Pourquoi pas ?»

«dévoré de l’intérieur»

Le défilé se poursuit : des consultations qui durent entre trente et quarante-cinq minutes. «Les visiteurs médicaux ? J’en reçois un par semaine… Cela m’est utile parfois, pour certains médicaments», reconnaît le docteur. Arrive un patient qui le trouble, une vieille histoire de rupture qui n’en finit pas. «Cela le dévore de l’intérieur, je ne sais pas, il faut être attentif, cela peut déraper.» Puis une femme de 63 ans qui travaille dans une droguerie. «On lui a fait un reproche, et elle a craqué. Il y a d’autres choses, c’est comme en réaction à une situation où elle se sentait comme une machine. Peut-être tenait-elle trop à son travail.» Des morceaux de vie surgissent et s’enchaînent jusqu’à la dernière consultation : un trouble alimentaire qui perdure. Marc S. n’a rien d’un magicien. «J’accompagne», répète-t-il.


(1) Des éléments concernant les patients ont été modifiés, pour qu’ils ne puissent être reconnus.



ÉDITO

de Nicolas Demorand – Dossier Libé du 7 mai 2013

La nouvelle édition de la bible de la folie paraît aux États-Unis et deviendra, comme les précédentes, le document de référence mondial de la psychiatrie. Elle dresse la nomenclature de tous les désordres mentaux : les anciens, les sérieux, les improbables, les carrément loufoques, qui en disent sans doute plus sur les médecins qui les inventent que sur les malades censés en souffrir. Une société se contemple au miroir de ses folies et cette somme peut se lire comme une plongée déroutante dans la psyché américaine, ce pays où l’extension du domaine du pathologique semble ne jamais devoir connaître de limite – même s’il commence à susciter des débats. A juste titre : comment, entre la première édition de ce livre en 1952 et la dernière, a-t-on pu passer de 60 à 450 troubles mentaux, doctement répertoriés ? Les progrès de la nosologie psychiatrique expliquent évidemment une partie du phénomène. L’émergence et la «prise en charge» de nouvelles souffrances, comme toutes celles liées au travail, interviennent également. Mais la pathologisation excessive de la vie quotidienne, y compris dans ses désordres les plus mineurs, est un symptôme inquiétant. Diagnostiquer des troubles incertains, les soigner avec des médicaments bien réels, contribue tout simplement à créer des malades. Et à inscrire dans leur biographie, parfois dès le plus jeune âge, la fêlure fondatrice, indélébile, de l’anormalité.

Entre-temps, les groupes pharmaceutiques auront breveté des molécules addictives et lucratives. Il s’en consomme toujours plus.



Huffington Post édition française – Publication : 22/12/2012 06h22

LE PSYCHIATRE, LE JUGE ET LE SCIENTISME
par Guy Baillon, psychiatre, co-fondateur du Collectif des 39

PSYCHIATRIE

MAIS D’ABORD UN INSERT DE LA RÉDACTION DU CIFPR :

LES TROIS BATAILLES

par Philippe Grauer

La psychiatrie américaine donc mondiale ou globale comme on voudra bouge. Son premier mouvement consista à se libérer de l’hégémonisme psychanalytique. On jeta le bébé de l’aîné avec l’eau du bain et advint, vint au monde, le DSM 4. Son troisième frère le DSM 5, serait paraît-il mort-né, mettant la vie de sa mère en danger.

La psychiatrie française, divisée entre nouvelle génération organiciste et vieille garde psychanalytique, se trouve prise dans le conflit dont la bataille du DSM constitue l’emblème. Les organicistes se battent entre eux : pur organicisme, celui de Thomas R. Insel, qui oppose à présent au DSM son Research Domain Criteria (RDoC) vs. un comportementalisme modéré, celui d’Allan Frances qui maintenant critique le DSM 5 après avoir mis au monde le 4 ? Cela ne laisse aucune place, aucune, au psychodynamisme d’inspiration psychanalytique que représentent Guy Baillon et Patrick Landman, qui se situent dans le Collectif des 39 et STOP DSM.

Alors, la psychiatrie française va-t-elle renouer avec sa tradition organo dynamique datant d’Henri Ey ? en a-t-elle les moyens ? de quelle influence réelle faut-il créditer les 39 et la référence du CFTMEA ? ce contre-poids devenu le poids du passé fera-t-il le poids ?

On se souviendra que la psychiatrie d’inspiration psychanalytique engagée de fait dans le Groupe de contact n’a pas levé le petit doigt pour nous soutenir au moment de la bataille des charlatans. À présent la voici plus humaniste que nous, sans avoir produit la moindre analyse du passé récent dont elle avait parfaitement fait son affaire avant que la droite ne sonne l’heure de la charge contre elle. Pas d’illusion, elle continue d’ailleurs de nous ignorer.

C’est dans ces conditions troubles – il y a des mots comme ça qui reviennent à la surface on se demande comment ils trouvent leur chemin, allez disons confuses, conditions d’autant plus confuses donc que l’École de la Cause par exemple, se bataille de son côté pour rien à coup de procès (ils adorent) contre des comportementalistes visiblement aussi remontés en dogmatisme qu’eux-mêmes, ignorant que la bataille de l’autisme de son côté est perdue pour et par la psychanalyse, en partie qu’on le veuille ou non à cause de la responsabilité de psychiatres-psychanalystes dogmatiques dans le domaine. Là encore aucune amorce d’autocritique (à l’exception notable du Serge Tisseron de « Autisme : la psychanalyse (enfin) contrainte à évoluer »).

On voit que plusieurs conflits s’entremêlent, et que la psychanalyse se trouve en position de faiblesse. Nous soutiendrons les résistances, autant à l’organicisme pur de la maladie mentale comparable au cancer, qu’au comportementalisme absurde d’une psychothérapie à protocoles résultant d’une classification que certains de ses propres promoteurs et administrateurs les plus en vue à présent renient (il était temps). Nous n’oublions pas que les psychanalystes-psychiatres en tant qu’institution (à l’exception notable de ceux de la Cause freudienne du temps de la Coordination psy) eux nous ont toujours oubliés et continuent dans cette voie bien franco-française. Jusqu’à preuve du contraire.

PS : et l’Appel des appels dans tout ça ? ils ne parviennent pas à s’entendre avec les 39. Narcissisme des petites différences institutionnelles ?

commençons par nous libérer de l’hégémonie du DSM

Pour faire face au scientisme qui se veut être la référence de la justice commençons par nous libérer de l’hégémonie du DSM, la classification moderne des troubles psychiques. Cette classification (dont le seul titre est un programme : Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux) nous vient des USA où elle est depuis longtemps vivement critiquée.

Il est utile que chacun sache que le monde de la santé mentale et de la psychiatrie dépend à peu près totalement de cette classification. C’est elle qui est enseignée par nos universitaires, c’est sur elle que notre administration s’appuie pour décider du volume et de la répartition de ses dépenses, et fait nouveau d’une exceptionnelle gravité, nous voyons ces jours derniers à Marseille un juge en pénal condamner une psychiatre parce qu’un de ses patients a commis un homicide sur un autre. Le juge se référait à un diagnostic, à un médicament et à un expert, comme étant des certitudes. Des faits identiques se sont déjà produits sans une telle condamnation. Le DSM serait non contestable aux yeux de la justice aujourd’hui.

C’est dire l’autorité que prend ce DSM, il a pris l’allure de donnée scientifique indiscutable, écartant toute référence aux données psychothérapiques, écartant toute référence aux valeurs humaines avant toute chose, la personne devenant simple objet. Est-ce justifié ?

données objectives & données qualitatives : subjectives + le milieu

Certes tous les soignants s’accordent pour affirmer la nécessité d’un langage commun aux soignants et aux décideurs des soins, les psychiatres, pour que, dans leurs recherches, leurs évaluations d’un trouble, leurs choix des traitements, ils aient le sentiment de parler des mêmes faits. Il en est ainsi pour toute la médecine, mais s’ajoute ici une différence majeure, en médecine les données du diagnostic concernent le corps, son fonctionnement, ses examens complémentaires, et sont dites objectives, en psychiatrie les données du corps doivent être associées à celles des deux autres champs impliqués, les données subjectives du patient comme de celui qui le reçoit, ainsi que les données signant l’influence constante du milieu où vit la personne qui souffre ; ces deux dernières données restent qualitatives.

le diagnostic, moment intime entre le médecin et la personne qui souffre, à un niveau d’échange public sans limite

Le DSM s’est limité à tout ce qui pouvait faire l’objet d’une description objective, hors du qualitatif. De plus il a voulu le faire utiliser par toute une suite d’acteurs sociaux très divers : les divers chercheurs, les laboratoires pharmaceutiques, les assurances, les universitaires, les généralistes, alors qu’il est évident que leurs objectifs sont bien différents, au total c’était placer le diagnostic, moment intime entre le médecin et la personne qui souffre, à un niveau d’échange public sans limite.

ces moments de notre vie

Depuis plus de deux ans plusieurs des sommités scientifiques qui ont dirigé le groupe auteur de cette classification sillonnent le monde en s’accusant de s’être trompés. En premier Allen Frances, le Directeur du DSM IV (1), dans une interview de ce mois en France affirmant que le DSM entraine une multiplication sans limite des diagnostics, avec ses conséquences financières et confusionnelles : « En gros on a diagnostiqué des personnes qui n’étaient pas malades, dont certaines avaient des médicaments à vie ! ». Cette inflation est croissante pour plusieurs raisons. Les diagnostics portent non seulement sur les grands syndromes largement reconnus, mais aussi sur une multitude de troubles mineurs et modestes comme l’hyperactivité des jeunes enfants, les troubles bipolaires mineurs, les simples deuils… Elle va s’aggraver avec le DSM V (2) en mai prochain puisqu’y sont prévus « les crises de colère, la gourmandise, les troubles de mémoire de la vieillesse… », ces moments de notre vie.

sur une part de plus en plus grande de notre vie quotidienne

Cela veut dire que les assurances, les laboratoires pharmaceutiques, nos universitaires (précisons qu’ils ne sont que 80, – dont il faut retirer les 20 pédopsychiatres qui, grâce au Pr. Misès, ont créé une classification simple adaptée aux enfants et ado (3) – sont les seuls à soutenir le DSM), nos généralistes non formés, vont donner un tableau de la santé mentale soit disant « débordée, » en réalité ce sera simplement parce que cette nouvelle classification au lieu de rester cantonnée aux vrais troubles psychiques, va chercher, comme le souligne Allan Frances, à étendre son influence sur une part de plus en plus grande de notre vie quotidienne. Cette évolution sera soutenue par les recherches des laboratoires pharmaceutiques produisant des drogues capables de « moduler » de plus en plus nos sensations, ainsi comme avec l’alcool et les toxiques nous aurons accès à une vie factice dont nous ne pourrons plus nous détacher.

D’autres conséquences fort préoccupantes pèsent sur notre avenir psychique, nous n’en retenons ici que trois majeures : la formation, la justice, l’expertise.

formation

Les étudiants, soumis aux pressions de leurs universitaires, choisissent pour obtenir leur titre le créneau le plus aisé : ils récitent ce manuel comme une bible, au lieu d’avoir la patience d’abord d’accueillir les personnes qui souffrent, puis d’écouter avec modestie, générosité, les diverses souffrances qu’expriment directement les malades qu’ils reçoivent ; la perte du sens clinique de ces étudiants est dénoncée par les américains, comme les français (4); la majorité des 60 professeurs français (sauf les 20 de pédopsychiatrie) lui associent les méthodes éducatives et la distribution des médicaments, tout en évitant la psychothérapie (elle reste enseignée aux USA, contrairement à ce que nous colportons) (il faut lire leurs articles !) (5)

justice

Les juges sont aujourd’hui impressionnés par l’aura « scientifique » du DSM, comme le confirme la condamnation de la psychiatre de Marseille. Cette condamnation constitue un renversement extrêmement grave du lien entre psychiatrie et justice, et ne permettra plus en réalité l’exercice de la psychiatrie, aucun soin psychique ne peut voir son effet ‘prédit’ par quelque traitement que ce soit, car c’est en dernier recours toujours la liberté de chacun, qu’il soit malade ou pas, comme homme, qui s’exprime, et non une « pseudo-science », là encore les travaux des américains montrant les limites et les erreurs des recherches en psychiatrie sont nombreux(6), bizarrement non transmis par les universitaires français.

expertise

Les experts enfin, très vulnérables (sauf un petit nombre très compétent en matière pénale), se trouvent élevés au pinacle, comme s’ils représentaient la science (dont on a vu qu’elle ne peut être ici que modeste et prudente) ; ils sont appelés à juger à la place des juges ; de plus ils revendiquent une place de conseils politiques nationaux pour guider le choix des élus en s’appuyant de façon abusive sur des données statistiques, comme le prétend le DSM.

La France n’a-t-elle pas assez d’expérience et de compétence pour décider elle-même de ses références tout en tirant les leçons éclairées de nos amis d’USA ?

N’est-il pas urgent que la France prenne de la distance avec les abus des DSM et reprenne la classification générale qu’elle avait en 1980 ? Elle l’a déjà fait pour l’enfant et l’adolescent (CFTMEA).

un rôle de coordonnateur à la psychothérapie, c’est à dire à l’humain

Qu’elle donne une place modeste et humaine aux experts, qu’elle reprenne une formation qui soit d’abord humaniste, intégrant à leur place les divers progrès réalisés par la vraie science en redonnant un rôle de coordonnateur à la psychothérapie, c’est à dire à l’humain.

Les équipes de secteur en France ont accumulé pendant 50 ans une grande expérience qu’il suffit de consolider en renforçant leurs moyens, en s’appuyant sur les familles et sur l’environnement humain des patients.

Sarkozy le 2 décembre 2008

Mais pour conclure constatons que ce climat est le pur produit de la stigmatisation des malades et de la psychiatrie créée par le discours de Nicolas Sarkozy à la télévision le 2 décembre 2008 : le Président de la République, après avoir gommé les progrès de la psychiatrie des 50 années passées, s’appuyant sur des données pseudo scientifiques, a désigné certains malades comme de futurs criminels qu’il fallait enfermer. Il a mis sa violence à exécution avec la loi du 5-7-2011 qui traite tous les malades psychiques comme des délinquants qu’il faut enfermer et obliger à se traiter chimiquement, ce qui élimine tout traitement psychothérapeutique.

N’est-il pas légitime aujourd’hui de demander au nouveau Président d’affirmer solennellement à la nation que ces malades psychiques ne sont pas plus dangereux que les autres citoyens, que la folie fait partie de tout homme, et que ces personnes plus vulnérables méritent d’être respectées et accueillies par l’ensemble de la société ?
_______________________
(1) « Alerte au surdiagnostic », Allen Frances, Sud ouest, 2-12-12 p14 ; et sur Google sa « leçon » au NIMH le 20 mai 2012.-
(2) Le DSM V, nouvelle bible du diagnostic en psychiatrie, ne fait pas l’unanimité, Medscape France, 13-12-2012.-
(3) Maurice Corcos, L’homme selon le DSM. Le nouvel ordre psychiatrique, Albin Michel, 2011.-
(4) Sabshin Melvin 1997, « Reflects on two decades at the helm of the APA. Interview by JA Talbott and HH Goldman. » Psychiatr serv 48 : pp. 1164-1167.-
(5) Hyman SE 2010, « The diagnosis of mental disorders : the problem of reification ». Annu Ev Clin Psychology, 6 : pp. 155-179.-
(6) François Gonon, « La psychiatrie biologique : une bulle spéculative », Revue Esprit, nov 2011, pp. 54-73.-



Allen Frances, Professor Emeritus, Duke University

HIPPOCRATIC HUMILITY

Cf. hippocratic humility sur Huffington Post.

Posted: 05/08/2013 2:38 pm

Rappel en français d’un

§ du texte précédent

toujours dans Huffington Post, version française.
Depuis plus de deux ans plusieurs des sommités scientifiques qui ont dirigé le groupe auteur de cette classification sillonnent le monde en s’accusant de s’être trompés. En premier Allen Frances, le Directeur du DSM IV (1), dans une interview de ce mois en France affirmant que le DSM entraine une multiplication sans limite des diagnostics, avec ses conséquences financières et confusionnelles « En gros on a diagnostiqué des personnes qui n’étaient pas malades, dont certaines avaient des médicaments à vie ! ». Cette inflation est croissante pour plusieurs raisons. Les diagnostics portent non seulement sur les grands syndromes largement reconnus, mais aussi sur une multitude de troubles mineurs et modestes comme l’hyperactivité des jeunes enfants, les troubles bipolaires mineurs, les simples deuils… Elle va s’aggraver avec le DSM V (2) en mai prochain puisqu’y sont prévus « les crises de colère, la gourmandise, les troubles de mémoire de la vieillesse… », ces moments de notre vie.

The greatest doctor who ever lived was a very humble guy. Hippocrates is the father of medicine because he introduced the naturalistic conception of disease — you got sick because your organs weren’t working properly — no spirits, no curses, no angry gods.

But he also set a precious example of physicianly humility too often since forgotten. On a nearby Greek island, the doctors treated their patients aggressively — in ways that often did more harm than good. This led Hippocrates to formulate the most robust and enduring finding in all of medical history — the « rule of thirds » states that one-third of patients get better on their own; one-third don’t respond to treatment; and just one-third really benefit from it. This has been part of medical student lore for almost 2,500 years and holds up remarkably well across time, specialties, and diseases.

It follows that the goal of medicine is to diagnose and treat only when there is a favorable risk/benefit ratio — to let people heal themselves when they can; to console those for whom there is no effective treatment; and to reserve risky treatments for those who need and can benefit from them.

It is, of course, difficult to predict course — and treatment response is often trial and error. But the obvious conclusion of Hippocrates’ teaching is to be humble about the doctor’s ability to treat and prevent illness. First and foremost — Do No Harm.

Dr. Diane O’Leary, an author and philosopher, believes physicianly humility is now in short supply. She writes:

Hippocrates’ sense of humility is valuable for all physicians — as a matter of principle and ethics, but also of simple number crunching.

There are roughly 30 million people in this country with rare diseases. That’s roughly 1 in 10 Americans asking their doctors for help with ailments likely to lead to diagnostic uncertainty. This is twice the number of people with cancer.

Since there are nearly 7,000 rare diseases on current listings, it’s not humanly or statistically possible for doctors to be familiar with most of them. Without humility — without awareness that diagnostic knowledge is always limited — doctors can’t begin to care for the 1 in 10 people with rare disease.

Given these numbers it should not be easy for doctors to assume that symptoms they are unable to explain have psychiatric causes — but it is, in fact, easy. It is standard practice.

Because common diseases do also present in unusual ways, easy psychiatric explanations can be threatening not just for those with rare diseases, but for everyone. When doctors treat their inability to understand symptoms as evidence of patients’ psychiatric problems, lack of humility stands in the way of sound diagnostic reasoning.
Dr. O’Leary’s specific call for physician humility in the face of ‘unexplained’ medical problems’ touches on the broader need for humility in all aspects of medical and psychiatric treatment.

– The poorly conceived DSM-5 Somatic Symptom Disorder substitutes a false psychiatric certainty that misleadingly covers medical uncertainty about the appropriate diagnosis. It is better to admit what we don’t know than cover it with meaningless labels.

– Psychiatry needs to contain its recent enthusiasm for diagnosing as mental disorders all problems of life.

– Researchers need to trim their exaggerated claims that we will soon solve the elusive mystery of how brain makes mind and behavior. The process of translating the exciting results of basic neuroscience into accurate diagnostic tests or improved treatments will be a very slow and lead up many blind alleys.

– Doctors need to stop making snap diagnoses and starting premature treatments after first meetings with people they have just met and barely know. Watchful waiting beats intrusive diagnostic and treatment exuberance whenever the patient’s problems are mild and bearable.

– Primary care doctors need to accept their limitations in delivering psychiatric treatment — it makes no sense for them to be prescribing 80 percent of psychiatric medicine. Not every patient has to leave the office with a pill.

– And patients need to accept physician uncertainty and humility. Don’t push doctors for quick answers that will be wrong and harmful. Don’t you expect or ask for a pill for every problem. Trust to time, resilience, and support from family and friends to solve the expectable and transient problems of life.


Psychiatric diagnosis and treatment are often life changing events — usually for the better, sometimes for worse, sometimes a tie score. Sorting out who is who in the rule of thirds requires patience and humility — both currently in short supply.



May 12, 2013

HuffPost Science

NIMH vs. DSM-5: NO ONE WINS, PATIENTS LOSE

par Allen Frances, Professor Emeritus, Duke University

Posted: 05/10/2013 11:46 am


Allen Frances sait de quoi il parle, il a dirigé l’entreprise DSM 4. Il critique le DSM V et s’en prend également, en réponse à l’article de Belluck et Carey, DSM 5 – Le guide de la psychiatrie perd le contact avec la science, dans le NYT, au docteur Thomas R. Insel, qui oppose à présent au DSM son Research Domain Criteria (RDoC), en relation avec la génétique et les neurosciences. Quand la bagarre aura trouvé une issue, la psychiatrie neurologisée réorientée biologie et organicisme, recentrée sur les cas lourds, qui s’occupera des cas ordinaires, disons « moyens-lourds » (où est la balance à peser les âmes ? je crois en avoir vu des modèles dans l’histoire de la peinture. Et puis un cœur lourd tout le monde sait ce que c’est) ?

Nous serons toujours là, avec moins de l’aide psychiatrique nécessaire en appui.

PHG

Le NIMH – Institut national de la santé mentale, enfonce son clou dans le cercueuil du DSM

The flat out rejection of DSM-5 by National Institute of Mental Health is a sad moment for mental health and an unsafe one for our patients. The APA and NIMH are both letting us down, failing to be safe custodians for the mental health needs of our country.
DSM-5 certainly deserves rejecting. It offers a reckless hodgepodge of new diagnoses that will misidentify normals and subject them to unnecessary treatment and stigma.
The NIMH director may have hammered the nail in the DSM-5 coffin when he so harshly criticized its lack of validity.

DSM V mort-né entraînant la mort de sa mère la psychiatrie ?

But the NIMH statement went very far overboard with its implied promise that it would soon find a better way of sorting, understanding, and treating mental disorders. The media and internet are now alive with celebrations of this NiMH ‘kill shot’. There are chortlings that DSM-5 is dead on arrival and will perhaps take psychiatry down along with it.
This is misleading and dangerous stuff that is bad for the patients both institutions are meant to serve.

le NIMH tout comme (feu) le DSM dans l’incapacité de tenir ses promesses

NIMH has gone wrong now in the very same way that DSM-5 has gone wrong in the past — making impossible to keep promises. The new NIMH research agenda is necessary and highly desirable — it makes sense to target simpler symptoms rather than complex DSM syndromes, especially since so far we have come up empty. And the new plan will further, and be furthered, by the big, new Obama investment in brain research. But the likely payoff is being wildly oversold. There is no easy solution to what is in fact an almost impossibly complex research problem. (souligné par nous NDLR).

Newton : je peux calculer les mouvements du ciel mais pas la folie des hommes

Isaac Newton said it best almost 250 years ago; ‘I can calculate the motions of the heavens, but not the madness of men. » Figuring out how the universe works is simple stuff compared to figuring out what causes schizophrenia. The ineffable complexity of brain functioning has defeated past DSM hopes and will frustrate even the best NIMH efforts.
Progress in understanding mental disorders will necessarily be slow, retail, and painstaking — with no grand slam home runs, just occasional singles, no walks, and lots of strikeouts. No sweeping explanations — no Newtons, or Darwins, or Einsteins.
Experience teaches that there is very little low hanging fruit when you try to translate the results of exciting basic science into meaningful clinical advances. This is true in all of medicine, not just psychiatry. We have been fighting the war on cancer for 40 years and are still losing most of the battles.

Obama : il est à l’heure actuelle plus facile à un malade mental d’acquérir une arme que d’obtenir un rendez-vous pour patient au bout du rouleau

If it has been so hard to figure out how simple breast tissue goes awry to become cancerous, imagine how many orders of magnitude more difficult will it be to eventually understand the hundreds or thousands of ways neurons can misconnect to cause what we now call schizophrenia.
We have learned many remarkable things about how our bodies work. But it is much easier to understand normal functioning than to figure out all the ways it can become abnormal. The NIMH effort may (or may not) be the wave of the future, but most certainly, it can have no impact whatever on the present.
Meanwhile, APA and NIMH are both ignoring the very real crisis of mental health misallocation in this country. While devoting far too many resources to over-treating ‘the worried well,’ we have badly shortchanged the severely ill who desperately need and very much benefit from our help. Only one-third of severely depressed patients get any care and we have one million psychiatric patients languishing in prisons because they had insufficient access to care and housing in the community. As President Obama put it, it is now easier for the mentally ill to buy a gun than to get an outpatient appointment — tragic on both counts.

nous dépensons des fortunes pour les difficultés psychiques mineures au détriment du budget pour les vrais problèmes psychiatriques

APA and NIMH are both on the sidelines, doing nothing to help restore humane and effective care for those who most need it. DSM-5 introduces frivolous new diagnosis that will distract attention and resources from the real psychiatric problems currently being neglected. NIMH has turned itself almost exclusively into a high power brain research institute that feels almost no responsibility for how patients are treated or mistreated in the here and now.
We are spending fortunes on unnecessary drugs for the worried well while slashing budgets for the care of the really sick. A meta-analytic comparison of treatment effectiveness across medical specialties showed that psychiatry was well above average. But we have to provide the treatment to those who really need and can benefit from it.

le diagnostic est fiable entre les mains de cliniciens compétents et bien entraînés, pas du généraliste

With all its well-recognized limitations, well done psychiatric diagnosis remains essential to effective psychiatric care. Diagnosis is reliable enough when it is targeted to real psychiatric disorders, is done by well-trained clinicians, and is not provided prematurely to provide a code for insurance reimbursement.
The single biggest cause of diagnostic inflation and unnecessary treatment is that 80 percent of prescriptions for psychiatric drugs are written by primary care doctors who have insufficient training and too little time in their seven minute visits to be accurate — and when both doctor and patient are unduly influenced by saturation drug marketing.

le combat entre NIMH et DSM V ? l’ignorer, et choisir soigneusement son praticien

(4)
So what is a patient or potential patient or parent to make of the confusing struggle between NIMH and DSM-5 debacle?
My advice is to ignore it. Don’t lose faith in psychiatry, but don’t accept psychiatric diagnosis or treatment on faith — particularly if it is given after a brief visit with someone who barely knows you. Be informed. Ask lots of questions. Expect reasonable answers. If you don’t get them, seek second, third, even fourth opinions until you do.
A psychiatric diagnosis is a milestone in a person’s life. Done well, an accurate diagnosis is the beginning of increased self understanding and a launch to effective treatment and a better future. Done poorly it can be a lingering disaster. Getting it right deserves the kind of care and patience exercised in choosing a spouse or a house.
Remember that psychiatry is neither all good or all bad. Like most of medicine, it all depends on how well it is done.


On attend la suite.



présentation du complément de dossier en date du 13 mai 2013

La voici, la suite. Avec la prise de position de la Division de psychologie clinique britannique (Division of Clinical Psychology Position Statement) qui fournit une précieuse information sur les réactions de la sensibilité anglaise à la problématique DSM, et avec un dossier paru dans Le Monde.

Nous installons l’information brute dans l’attente de ses prompts analyse et commentaire. En quelques mots on est passé plus rapidement que prévu de la controverse à la critique puis à la protestation. Ne pas oublier que le DSM constitue également une pièce du dispositif de prise en charge et qu’à ce titre il est sociologique et sociétal.

En tout cas la question à présent se pose, l’autoroute de la médicalisation de l’existence , expression de Roland Gori qui vise juste, à quoi conduit-elle tout droit ? fort heureusement sur la voie de la santé on ne compte pas que des autoroutes. Notre psychothérapie relationnelle représente le nécessaire réseau de cheminement alternatif et tient l’antidote au tout médical, la relation et ses professionnels, contextualisée dans le cadre d’un concept de soin ni médical ni paramédical, faisant système avec le concept de traitement. L’un ne devant jamais chercher à exclure l’autre ni à tenter de le phagocyter ce qui détruirait l’alternative et le nécessaire jeu de leur possible complémentarité (5).

PHG


[Document : Sans titre]

Prise de position de la Section psychologie clinique

(120.2 ko) – pdf. Important texte La DCP, la section la plus importante de la British Psychological Society, regroupe tous les psychologues cliniciens du Royaume uni, de nombreux universitaires professeurs de psychopathologie en particulier Peter Kinderman de Liverpool, et Brent Robbins de Londres qui ont écrit de nombreux articles, livres et qui animent des blogs très fréquentés. La DCP très représentative, se démarque à présent clairement de la culture DSM.


PSYCHIATRIE : DSM-5, LE MANUEL QUI REND FOU

par Sandrine Cabut

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 13.05.2013 à 17h35 • Mis à jour le 13.05.2013 à 20h41

Pétitions, appels au boycott, déclarations et livres chocs de spécialistes dénonçant un ouvrage « dangereux » qui fabrique des maladies mentales sans fondement scientifique et pousse le monde entier à la consommation de psychotropes… Aux États-Unis et dans de nombreux autres pays dont la France, la tension monte dans les milieux psy, à quelques jours de la présentation officielle de la nouvelle édition du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), prévue au congrès annuel de l’Association de psychiatrie américaine (APA) qui se tient du 18 au 22 mai à San Francisco.

Sur le fond, il ne devrait guère y avoir de révélations. L’essentiel du contenu de cette cinquième édition de la « bible » de la psychiatrie a déjà été annoncé par l’éditeur et sponsor de l’ouvrage, l’APA. Une version préliminaire du DSM-5 avait d’ailleurs été mise en ligne sur Internet, en 2010, pour accueillir suggestions et critiques et permettre des aménagements.

controverses

Si les précédentes révisions – les deux dernières ont eu lieu en 1980 et en 1994 – ont déclenché des controverses, jamais elles n’ont, semble-t-il, été aussi vives que pour cette nouvelle mouture. Comme le souligne avec humour un article paru le 25 avril dans Nature, l’une des seules suggestions qui n’a pas soulevé de hurlements de protestation pendant le processus de révision a été… le changement de nom, de DSM-V en DSM-5.

Aux États-Unis, où le mouvement anti-DSM a débuté, son fer de lance est aujourd’hui Allen Frances, le psychiatre qui avait dirigé la précédente édition (le DSM-IV), parue en 1994. Des instances professionnelles, dont une branche de l’Association américaine de psychologie, sont aussi montées au créneau. Et le 4 mai, c’est le prestigieux Institut américain de la santé mentale (National Institute of Mental Health, NIMH), le plus gros financeur de la recherche en santé mentale à l’échelle mondiale, qui s’est à son tour désolidarisé du DSM-5. « Les patients atteints de maladies mentales valent mieux que cela », a justifié son directeur, Thomas Insel, dans un communiqué, en expliquant que le NIMH « réorientait ses recherches en dehors des catégories du DSM », du fait de la faiblesse de celui-ci sur le plan scientifique.

En France, le combat est porté depuis trois ans par un collectif intitulé Stop DSM, constitué de professionnels proches du milieu psychanalytique. Ils s’insurgent contre la « pensée unique » du manuel, bien au-delà de sa dernière édition.

critiques virulentes

Mais pourquoi un ouvrage avant tout destiné aux spécialistes et aux chercheurs suscite-t-il autant d’inquiétudes et de critiques virulentes ? Et d’abord, de quoi s’agit-il ?

Publié pour la première fois en 1952, avec une liste de moins de cent pathologies (d’inspiration freudienne, tout comme la deuxième édition en 1968), ce manuel diagnostique et statistique a évolué vers une approche de plus en plus catégorielle des maladies mentales depuis 1980. Ce faisant, il est devenu une sorte de manuel de conversation entre spécialistes, et un outil incontournable dans le monde de la santé mentale. Le langage DSM est même passé dans le grand public avec la banalisation de termes comme « TOC » (troubles obsessionnels compulsifs) ou encore « phobie sociale »…

L’édition actuelle, le DSM-IV, recense 297 pathologies, classées par grandes catégories. C’est cette classification qui fait référence pour les recherches sur les pathologies mentales, qu’il s’agisse d’études épidémiologiques ou de celles menées par les laboratoires pour évaluer leurs molécules (antidépresseurs, anxiolytiques ou autres neuroleptiques).

instrument clinique

« Aux États-Unis et en Australie, le DSM a en quelque sorte force de loi, pour les remboursements par les compagnies d’assurances ou dans un contexte judiciaire. Et c’est ce qui est enseigné, y compris en France, dans les facultés de médecine, de psychologie. Aujourd’hui, c’est un passage obligatoire pour faire carrière », assure Patrick Landman, psychiatre et psychanalyste, à l’origine du mouvement Stop DSM et auteur du récent Tristesse business. Le scandale du DSM 5 (Max Milo, 128 p., 12 euros).

Initié au DSM-IV pendant ses études, Richard Delorme, jeune pédopsychiatre à l’hôpital Robert-Debré (Paris), voit, lui, ce manuel comme un instrument clinique. « Le DSM est un modèle athéorique, non idéologique. Pour moi, c’est la porte d’entrée d’une maison, cela aide à hiérarchiser un raisonnement intellectuel, mais ce n’est pas une finalité. »

Commencé il y a une dizaine d’années, le processus qui vient d’aboutir au DSM-5 a mobilisé des centaines de professionnels de tous les pays, répartis en 13 groupes de travail. « L’ambition de départ des responsables de la révision était d’intégrer des données de neurosciences. Cette mission n’a pas pu être pleinement réalisée car les critères biologiques ne sont pas encore assez solides, souligne le docteur Delorme. Le DSM-5 est tout de même plus dimensionnel que le DSM-IV et rend compte des études génétiques et d’imageries qui montrent que les limites nosographiques habituellement considérées sont perméables. »

mainmise de l’industrie pharmaceutique

Cette nouvelle édition, qui a coûté à l’Association américaine de psychiatrie 25 millions de dollars (19 millions d’euros), laisse cependant beaucoup à désirer sur le plan de la qualité scientifique, accusent les détracteurs du DSM-5. L’une des principales critiques, déjà ancienne, concerne la mainmise de l’industrie pharmaceutique sur les experts participant à l’élaboration du DSM. Ces collusions ont été notamment décortiquées par l’historien américain Christopher Lane, dans son ouvrage Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions (Flammarion, 2009), et plus récemment par le philosophe québécois Jean-Claude St-Onge, dans Tous fous ? (Ecosociété, 236 p., 19 euros).

Allen Frances, professeur émérite à l’université de Duke (Caroline du Nord), qui avait coordonné le DSM-IV, note plutôt « les conflits d’intérêts intellectuels » des spécialistes des groupes de travail, « qui leur font voir les bénéfices possibles mais ignorer certains risques ». Surtout, déplore-t-il, « le processus a été secret, fermé et incapable de s’autocorriger ou d’incorporer des réponses provenant de l’extérieur. Ainsi, les experts ont rejeté l’appel de 57 associations de santé mentale qui proposaient un examen scientifique indépendant ».

« troubles cognitifs mineurs »

C’est il y a quatre ans, en rencontrant un confrère et ami à une soirée, qu’Allen Frances a, raconte-t-il, pris conscience de l’ampleur des dangers et qu’il est parti en croisade. « Ce médecin était très excité à l’idée d’intégrer au DSM-5 une nouvelle entité, le « syndrome de risque psychotique », visant à identifier plus précocement des troubles psychotiques. Le but était noble, aider les jeunes à éviter le fardeau d’une maladie psychiatrique sévère. Mais j’ai appris en travaillant sur les trois précédentes éditions du DSM que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Je ne pouvais pas rester silencieux. »

Cet item de risque psychotique n’a finalement pas été retenu dans la dernière version du DSM-5. Mais Allen Frances et les autres « anti » s’inquiètent aujourd’hui d’autres entités qui font leur entrée dans le nouveau manuel. Ainsi des « troubles cognitifs mineurs ». « La perte de mémoire physiologique avec l’âge va devenir une pathologie au nom de la prévention de la maladie d’Alzheimer, prévoit le collectif Stop DSM. De nombreux sujets vont se voir prescrire des tests inutiles et coûteux avec des médicaments dont l’efficacité n’est pas validée et dont les effets à terme sont inconnus. »

« pathologisation du deuil »

Patrick Landman et ses collègues sont aussi vent debout contre ce qu’ils nomment une « pathologisation du deuil ». « Au bout de deux semaines, l’apparence dépressive de l’endeuillé sera passible du diagnostic d’épisode dépressif majeur et donc d’antidépresseurs », craignent-ils.

Troisième exemple : le disruptive mood dysregulation disorder, qui risque, selon eux, de faire entrer dans le DSM de banales colères infantiles. « C’est une interprétation erronée, estime le docteur Viviane Kovess, psychiatre épidémiologiste, professeur à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Le disruptive mood dysregulation disorder correspond à une irritabilité très importante et constante, et à des colères violentes et fréquentes. Le critère (irritabilité plus trois grosses colères par semaine pendant plus d’un an) n’est pas si banal, et cela est destiné à ne pas mettre ces enfants dans la catégorie des troubles bipolaires. » Par ailleurs, selon elle, le DSM ne dit pas que tout deuil de plus de quinze jours est une dépression. « Au contraire, il différencie mieux qu’avant le phénomène de deuil du trouble dépressif majeur. »

risques de surdiagnostic

Pour Allen Frances, les risques de surdiagnostic et donc de surmédicalisation sont cependant bien réels, surtout chez les enfants. « Quand nous avons introduit dans le DSM-IV le syndrome d’Asperger, forme moins sévère d’autisme, nous avions estimé que cela multiplierait le nombre de cas par trois. En fait, ils ont été multipliés par quarante, principalement parce que ce diagnostic permet d’avoir accès à des services particuliers à l’école et en dehors. Il a donc été porté chez des enfants qui n’avaient pas tous les critères. »

Face à ces périls, le psychiatre américain invite les médecins à boycotter le DSM, et les patients à devenir des consommateurs informés. « Posez des questions et attendez des réponses claires. N’acceptez pas de médicaments prescrits nonchalamment pour des symptômes légers et transitoires qui vont probablement se résoudre d’eux-mêmes », préconise-t-il. Des conseils de bon sens qui peuvent s’appliquer bien au-delà des maladies mentales.

contre

: Un entretien avec Roland Gori, psychanalyste et professeur émérite de psychopathollogie cllinique à l’université d’Aix-Marseille : On assiste à une médicalisation de l’existence

pour

: Un entretien avec Viviane Kovess-Masfety, psychiatre épidémiologiste, directrice d’une équipe de recherche de l’université Paris-Descartes : Une certaine mauvaise foi dans les critiques.

Lire aussi : Petit tour du monde du normal et du pathologique : ici même à la suite (NDLR)



PETIT TOUR DU MONDE DU NORMAL ET DU PATHOLOGIQUE

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 13.05.2013 à 17h26 • Mis à jour le 13.05.2013 à 20h14
par Lucia Sillig

Le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM), utilisé par des psychiatres du monde entier, est essentiellement conçu par des experts occidentaux. Les frontières de la folie ne sont-elles pourtant pas variables selon les cultures considérées ? Norman Sartorius, ancien responsable de la division santé mentale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et consultant externe pour la cinquième mouture du DSM, rappelle que si les mots pour parler des troubles mentaux varient d’une culture à l’autre, « les grandes maladies mentales, comme la schizophrénie, la dépression majeure ou la démence, existent partout ».

La dépression, au temps des colonies, a ainsi pu être vue comme une maladie n’affectant que les Blancs d’Europe, « mais on s’est ensuite rendu compte que cela n’était simplement pas considéré comme un motif de consultation valable pour les populations locales », indique-t-il.

variations culturelles

Selon lui, les variations culturelles sont surtout marquées pour les troubles plus légers, comme l’arachnophobie, bien plus répandue en Angleterre qu’elle ne l’est en Inde. Le koro, un syndrome où la personne accroche des objets à son pénis ou ses seins par crainte qu’ils ne se rétractent, est surtout observé à Singapour ou en Malaisie.

La définition de ce qui est pathologique ou non varie aussi selon les cultures : l’homosexualité n’est plus inscrite au DSM depuis les années 1970 mais reste dans plusieurs pays considérée comme une maladie. A l’inverse, chez les Wolofs au Sénégal, où l’on pense qu’à la fin de la vie les hommes renaissent, la démence sénile n’existe pas : « De temps en temps, un individu renaît trop tôt et un nouveau-né se retrouve dans le corps d’une personne âgée : il est incontinent, ne veut pas écouter, ne comprend pas ce qu’on lui dit et ne sait pas parler… », raconte Norman Sartorius. Pour lui cette interprétation a une vertu sociale : « Il est beaucoup plus simple de mobiliser les gens pour aider un enfant qu’un vieux atteint d’une maladie mentale. »

acceptation du diagnostic

Une grande étude de l’OMS avait montré que les gens consultaient moins pour dépression en Chine et au Japon. Cette différence s’explique simplement : « Le mot  »dépression », au sens où nous l’entendons, n’existe pas en chinois », indique l’ancien expert de l’OMS. Si l’on ajoute que les mots associés au diagnostic sont parfois très stigmatisants, nommer les choses peut être source d’embarras. C’est le cas avec la schizophrénie, dont on ne traduit plus le sens grec en Occident, mais que certains médecins, en Asie notamment, répugnaient à annoncer aux patients à qui il aurait fallu dire qu’ils avaient l’esprit fendu ou cassé.

Au Japon, un mouvement issu des malades et de leurs proches ainsi que de médecins a changé la dénomination pour un terme signifiant « désordre de la coordination de la pensée », beaucoup plus proche de ce que ressentent les patients. Depuis lors, « la communication du diagnostic au patient est passée de 6 % à 75 % des cas », souligne Norman Sartorius. Les Coréens veulent suivre cette voie avec une expression signifiant « problème d’accordage de la pensée », évoquant plus un instrument désaccordé. L’acceptation du diagnostic et l’échange entre médecin et malade sur le traitement à suivre sont facilités.

américaniser la folie ?

N’y a-t-il pas alors un risque, à travers le DSM, d’américaniser la folie ? « C’est le risque général de la globalisation », répond Norman Sartorius, pour qui cette influence se fait surtout sentir dans le domaine de la recherche. Depuis 1980, dans le DSM, « pour surmonter le fait que chaque patient est différent », indique-t-il, une description qu’on appelle opérationnelle définit une liste de symptômes dont le malade doit présenter un certain nombre pour que son trouble corresponde au diagnostic. « C’était révolutionnaire, parce que pour la première fois on essayait de donner un aspect quantifiable et comparable à l’état des patients. »



Le Monde

ON ASSISTE À UNE MÉDICALISATION DE L’EXISTENCE

par Roland Gori

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 13.05.2013 à 17h24 • Mis à jour le 13.05.2013 à 20h53
Propos recueillis par Catherine Vincent

Roland Gori est psychanalyste et professeur émérite de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille. Il est l’auteur de nombreux ouvrages. Les plus récents, publiés aux éditions Les Liens qui libèrent, sont La Dignité de penser (2011) et La Fabrique des imposteurs (224 p., 21,50 euros).

Depuis la parution du DSM-III, il y a plus de trente ans, vous mettez en garde contre les dangers de cette classification. Que craignez-vous ?

À partir du DSM-III, les psychiatres américains chargés de réviser ce manuel ont mis au point une manière très catégorielle de poser les diagnostics. Le but était de rechercher le maximum de consensus parmi les experts en matière de troubles mentaux.

Ce principe est très bon pour faire des études de populations, évaluer des traitements ou mener des recherches épidémiologiques. Le problème, c’est qu’il a entraîné une manière de penser la souffrance psychique et sociale comme un trouble de comportement. En introduisant dans le DSM le trouble de l’anxiété sociale, on a multiplié par sept, dans les années 1980, le nombre de patients souffrant d’hypertimidité.

Cette tendance au surdiagnostic s’est-elle accentuée avec le DSM-5

Ce qui s’est surtout accentué, c’est la recherche de critères techniques et cliniques permettant aux psychiatres d’approcher la souffrance des patients de manière « objectivable » et formalisable. On aboutit ainsi à un diagnostic consensuel. Mais cela ne veut pas dire qu’il soit valide ni qu’il corresponde à une réalité clinique.

Pour prendre un exemple simple : lorsqu’en 1980 les psychiatres ôtent l’homosexualité de la liste des troubles sexuels du comportement, on guérit des millions de malades. Lorsqu’en 1994 le DSM-IV considère les femmes ayant des troubles de l’humeur avant leurs règles comme atteintes de dysphorie prémenstruelle, on se retrouve, au contraire, avec des millions de patients en plus.

De même avec le DSM-5. Quand on évoque le trouble de l’hyperphagie, sur quels critères se base-t-on pour le distinguer de la gourmandise ? A partir de quand faut-il invoquer le trouble compulsif d’entassement, autrement dit le fait d’accumuler des objets qui nous sont inutiles ?
Dans la mesure où l’on ne dispose pas de marqueurs biologiques ou génétiques pour la plupart des maladies mentales, il y a une très grande flexibilité des critères pour définir ce qui est pathologique et ce qui ne l’est pas.

On est en train de rendre pathologiques des comportements que l’on considérait autrefois comme normaux ?

Disons plutôt que l’on « pathologise » de simples anomalies de comportement. Entre 1979 et 1996, on a multiplié par sept, en France, le nombre de diagnostics de dépression. Cela ne veut pas forcément dire qu’il y avait sept fois plus de déprimés, mais qu’on a abaissé le seuil de tolérance sociale par rapport aux anomalies de comportement. Pourquoi ? Parce que nous sommes, de plus en plus, dans une société de contrôle. On assiste à une médicalisation de l’existence.

Le DSM est le symptôme d’une maladie de société, d’une manière de gouverner qui ne repose plus sur l’autorité des grands récits religieux ou idéologiques mais sur la pression normative. Il s’agit de fabriquer les discours de légitimation d’un contrôle social, au nom de la raison technique et de l’objectivité scientifique.

Que préconisez-vous pour limiter cette dérive ?

Il faut remettre la parole au centre. On est passé d’un savoir narratif à un savoir probabilistique, qui transforme le psychiatre ou le psychologue en une agence de notation des comportements.

Pour inverser cette tendance, il faut revenir à la souffrance singulière du patient. Revenir au récit, recontextualiser le trouble et le symptôme.



Le Monde

UNE CERTAINE MAUVAISE FOI DANS LES CRITIQUES

par Viviane Kovess

Et dans la réthorique DSM pas trace de « mauvaise foi » ? PHG

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 13.05.2013 à 17h24 • Mis à jour le 13.05.2013 à 20h57

Propos recueillis par Sandrine Cabut

Viviane Kovess-Masfety est psychiatre épidémiologiste, directrice d’une équipe de recherche de l’université Paris-Descartes et professeure à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Elle est l’auteure de rapports sur la santé mentale et de N’importe qui peut-il péter un câble ? (Odile Jacob, 2008).

Quel regard portez-vous sur le DSM ?

Les épidémiologistes sont très attentifs aux classifications comme le DSM. Il fait partie de nos outils et, inversement, nos travaux nourrissent certaines de ses modifications. Le DSM et la CIM (Classification internationale des maladies), avec laquelle il converge, permettent de se mettre d’accord sur des critères et de parler un langage commun et international sous la houlette de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui participe aux deux élaborations.

utilisation scrupuleuse

Dans notre travail, nous sommes confrontés de près à la façon dont les psychiatres utilisent ces classifications dans leur pratique, et c’est très variable. En psychiatrie adulte, où il y a un consensus pour poser un diagnostic, certains cliniciens, notamment en milieu hospitalo-universitaire, utilisent scrupuleusement les critères des classifications DSM ou CIM.

étiquette

D’autres se fient d’abord à leurs impressions cliniques, ce qui est essentiel, mais ils codent sans trop regarder les critères. En pédopsychiatrie et en psychiatrie de l’adolescent, où le poids de la psychanalyse est important, il y a plus de réticences à poser un diagnostic, sous prétexte qu’il collerait une étiquette.

Déplorez-vous cette sous-utilisation ?

Il est exact que le processus de diagnostic est complexe chez les enfants et les adolescents car les pathologies sont évolutives, et on doit veiller à laisser toutes les portes ouvertes. Cependant, cela n’empêche pas, à un moment donné, de suivre une classification comme le DSM qui, justement, propose des critères précis, avec un axe de sévérité permettant de suivre l’évolution.

on lui fait porter le poids de l’évolution de la société vers l’intolérance et la normalisation des comportements

Beaucoup de parents se plaignent plutôt qu’on ne leur donne pas de diagnostic. C’est angoissant pour eux de ne pas savoir, or ils sont capables d’entendre les incertitudes sur l’évolution, voire les hésitations sur les cas complexes. Par ailleurs, on reproche au DSM d’étiqueter des réactions normales comme des maladies, et on lui fait porter le poids de l’évolution de la société vers l’intolérance et la normalisation des comportements.

Paradoxalement, suivre rigoureusement une classification comme le DSM permettrait de mieux protéger les enfants, car les critères mettent un seuil assez élevé pour porter un diagnostic.

On reproche par exemple au DSM d’avoir induit une « épidémie » d’hyperactivité et de traitements par la ritaline, mais les données montrent qu’en France la consommation de psychostimulants reste très basse. À l’inverse, le fait de remettre en cause le fonctionnement intime de parents, qui n’ont pas cette demande, devant le moindre comportement déviant comme cela arrive aujourd’hui à l’école ou à la crèche est une violence que l’on tend à négliger.

Que pensez-vous du DSM-5 et des critiques à son encontre ?

Il y a eu une volonté d’intégrer les connaissances en neurosciences (génétique, imagerie cérébrale), pas directement dans les critères, car il n’y a pas encore de marqueurs biologiques des maladies mentales, mais dans la logique des catégories.

Cette nouvelle version n’est pas parfaite, mais il y a une certaine mauvaise foi dans les critiques. D’abord, il n’y a pas une inflation de nouvelles pathologies, car il y a eu aussi des suppressions, des réorganisations, donc le nombre total n’a pas bougé. Par ailleurs, il y a maintes interprétations erronées.



La Croix Jeudi 16 mai 2013.

LES PSYCHIATRES SE DIVISENT FACE AU DSM-5, NOUVEAU GUIDE DES MALADIES MENTALES

par Pierre Bienvault

[En vert, les intertitres sont le fait de notre Rédaction]


Le congrès de l’Association américaine de psychiatrie s’ouvre samedi 18 mai à San Francisco dans un climat tendu. Cette association a rédigé le DSM5, un nouveau manuel qui classifie les diagnostics des maladies mentales. Cet ouvrage est critiqué par une partie des psychiatres qui dénoncent le risque de « psychiatriser » et de « médicaliser » certains comportements normaux, comme la tristesse après un deuil.

La planète « psy » est de nouveau en ébullition. Et c’est sur un ton solennel que plusieurs de ses représentants dénoncent un mouvement, venu des États-Unis, qui risque selon eux de « psychiatriser » divers comportements relevant de la plus parfaite normalité. Avec pour principale réponse thérapeutique la délivrance de médicaments psychotropes plutôt que l’écoute de la personne.


pas une querelle d’experts

« Ce n’est pas une querelle d’experts. L’enjeu est de savoir si nous voulons une société qui “fabrique” des fous et étiquette comme maladies mentales certaines réactions normales comme la tristesse après un deuil », affirme le docteur Patrick Landman, psychiatre et psychanalyste, à la pointe de ce mouvement de contestation. « Cette inquiétude se fonde sur des constats souvent fallacieux et surfe sur la théorie très en vogue du grand complot de l’industrie pharmaceutique qui inventerait de nouvelles maladies pour vendre des médicaments », répond Pascal Diethelm, un ancien fonctionnaire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

permettre à la psychiatrie mondiale d’avoir un langage commun

Ce débat se cristallise autour du DSM-5, la nouvelle version d’un manuel rédigé par l’Association américaine de psychiatrie (APA) qui ouvre son congrès samedi 18 mai à San Francisco. Parfois présenté comme la « référence » de la psychiatrie mondiale, ce Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, qui en est à sa cinquième version, doit sortir le 22 mai. Édité pour la première fois en 1952, son objectif était au départ d’harmoniser les diagnostics à l’échelle de la planète.

« Certains travaux avaient montré que le diagnostic de schizophrénie en Angleterre n’avait rien à voir avec celui en vigueur aux États-Unis. On ne parlait pas toujours des mêmes malades », explique le professeur Viviane Kovess-Masfety, psychiatre, épidémiologiste et enseignante à l’École des hautes études en santé publique (EHESP).

« L’avantage de ces classifications, c’est de permettre à la psychiatrie mondiale d’avoir un langage commun », souligne Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’hôpital Tarnier à Paris. « Mais le DSM a un inconvénient, celui de faire entrer les sujets dans des cases et, parfois, d’entraîner des diagnostics figés à un moment donné, sans tenir suffisamment compte de l’histoire et de l’environnement du patient », ajoute-t-il.

un risque de « déshumanisation » de l’homme et de la médecine

Dans sa première version, le DSM répertoriait 60 troubles mentaux. « Aujourd’hui, le DSM-5 en recense plus de 350 », constate le docteur Landman, qui considère que cette inflation risque d’entraîner des diagnostics erronés. « On peut citer le cas des personnes qui vivent un deuil, explique ce médecin. Certaines peuvent présenter divers symptômes : tristesse, perte d’appétit, troubles du sommeil, sentiment de culpabilité… La version 4 du DSM estimait que ces symptômes devenaient pathologiques s’ils se prolongeaient au-delà de deux mois. Désormais, avec le DSM-5, le délai est juste de 15 jours. Une personne qui a perdu un être cher pourra donc être considérée comme faisant un épisode dépressif majeur si elle continue à être triste au bout de deux semaines. Alors qu’elle est juste normalement endeuillée. »

Le docteur Landman cite d’autres exemples. « Le DSM-5 crée un nouveau trouble du comportement alimentaire : l’hyperphagie, que l’on pourra diagnostiquer chez toute personne ayant un accès de gourmandise par semaine. De la même manière, on pourra ranger dans les troubles mentaux le fait pour un enfant d’avoir trois crises de colère par semaine ou, pour une personne âgée, d’avoir de temps à autre des petits oublis de mémoire. »

Une inquiétude partagée par le professeur Maurice Corcos, chef du département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte à l’Institut mutualiste Montsouris. « En voulant délimiter le normal et le pathologique, on ne cesse d’élargir les catégories de la maladie mentale », estime ce spécialiste, qui dénonce un risque de « déshumanisation » de l’homme et de la médecine.

le DSM-5 ne recommande pas de traitements

De leur côté, les défenseurs du DSM-5 réfutent l’idée d’une hégémonie de la psychiatrie américaine sur le reste du monde. « Tous les comités ayant travaillé sur le manuel comprenaient un expert international », explique le professeur Kovess-Masfety, tout en dénonçant certaines « contre-vérités » avancées par les opposants. « Il peut arriver que des personnes développent d’authentiques dépressions après la perte d’un proche, dit-elle. Et dans ce nouveau manuel, il y a en fait tout un chapitre qui explique précisément la différence entre les symptômes normaux du deuil et ceux d’un épisode dépressif majeur. Le but est bien d’éviter de faire la confusion. »
Le professeur Kovess-Masfety met aussi en avant le fait que le DSM-5 ne recommande pas de traitements. « C’est juste un outil de diagnostic qui n’empêche pas le médecin de garder son libre arbitre et de ne pas prescrire un médicament s’il estime que cela n’est pas justifié. »

Un argument qui ne convainc pas le professeur Corcos. « En France, la formation initiale des médecins à la psychiatrie reste largement sous l’influence du DSM, affirme-t-il. Et il ne faut pas oublier que 80 % des psychotropes sont prescrits par des généralistes qui sont très sollicités par les laboratoires pharmaceutiques dont les études sont faites avec les classifications issues de ce manuel. »

les laboratoires utilisent ce manuel pour s’adresser aux consommateurs

Dans leur combat, les « anti » ont trouvé un allié de poids en la personne du docteur Allen Frances, un psychiatre américain qui a dirigé les travaux ayant abouti, en 1994, à la publication du DSM-4. Aujourd’hui, ce spécialiste multiplie les mises en garde, insistant notamment sur l’utilisation faite de ce manuel par les laboratoires. Il rappelle que, trois ans après sa sortie, l’industrie pharmaceutique a eu l’autorisation d’adresser des messages directs aux consommateurs américains.

« Cela a été une catastrophe », explique le docteur Frances dans un entretien publié l’an passé dans la revue PSN. « Sous l’effet combiné d’une publicité omniprésente et d’une agressivité commerciale à l’égard des médecins (…), nous avons assisté à l’invention de maladies, vu poser des diagnostics flous, publier de fausses statistiques totalement exagérées et se répandre des prescriptions sans limite », ajoute ce psychiatre.

de 15 millions de dollars à 7 milliards

Avant de préciser que, au cours des vingt dernières années, aux États-Unis, le taux de troubles bipolaires chez l’enfant a été multiplié par 40 et ceux de l’autisme par 20. Autre chiffre cité par ce médecin : depuis la publication du DSM-4, le marché des médicaments contre les troubles de l’attention est passé de 15 millions de dollars (11,5 millions d’euros) à 7 milliards aujourd’hui (5,5 milliards d’euros).

attention à la stigmatisation, notamment chez les sujets jeunes

Enfin, le docteur Frances souligne un autre risque du DSM-5 : celui de favoriser des diagnostics rapides et pas forcément pertinents chez des sujets jeunes. En leur collant une étiquette dont ils auront ensuite du mal à se débarrasser.

« C’est parfois très difficile de poser un diagnostic de maladie mentale chez un enfant, note le professeur Kovess-Masfety. Certaines situations peuvent être évolutives. Il faudrait, idéalement, que le médecin dise aux parents : “Voilà, aujourd’hui, je pense à tel diagnostic. Mais il est possible que d’ici un ou deux ans, son état évolue, s’améliore…”
Il faudrait pouvoir faire un diagnostic qui n’enferme pas la personne à vie. Mais pour cela, il faudrait changer les représentations de la maladie mentale, encore très stigmatisantes, dans notre société. »}



Le Devoir, Québec

LE DSM-5 OU LE MONDE NORMALISÉ PAR LA PSYCHIATRIE

[En vert, les intertitres sont le fait de notre Rédaction]


par Étienne Boudou-Laforce
– Candidat à la maîtrise en service social à l’Université de Sherbrooke, Québec.


élargir considérablement le spectre de la maladie mentale

Cette bible pathologise de manière excessive les comportements humains et a des effets importants sur les plans juridique, social, industriel et de santé publique voilée. C’est peu dire que le vénérable manuel de psychiatrie, longtemps repoussé et ayant fait couler beaucoup d’encre, est attendu de pied ferme. S’il est d’usage que la sortie d’un nouveau DSM par l’Association américaine de psychiatrie (APA) provoque son lot de critiques et de controverses, rarement a-t-on vu si grande mobilisation et assisté à autant de sorties retentissantes de la part de différents acteurs pour dénoncer les possibles changements proposés. C’est que le nouveau DSM compte – de nouveau – élargir considérablement le spectre de la maladie mentale. Ce qui aura des effets importants tant sur les plans, juridique, social, industriel que sur celui de la santé publique.


médicalisation de la vie ordinaire

Allen Frances, psychiatre et ancien responsable du DSM-IV, publie aujourd’hui même son livre dans lequel il dénonce la « médicalisation de la vie ordinaire » qu’entraînera possiblement le DSM-5. Il est d’avis que l’ajout de nouveaux diagnostics et l’abaissement de certains seuils auront pour triste conséquence d’augmenter considérablement la proportion de gens susceptibles de recevoir des diagnostics psychiatriques. D’autres experts craignent quant à eux que certains individus ne soient inutilement stigmatisés et que de vaines prescriptions de médicaments aient lieu. Bref, rien qui vaille

Un continuum d’intensité

Parmi les nouveautés du DSM-5, l’introduction d’une évaluation dimensionnelle visant à déterminer la gravité des symptômes retient particulièrement l’attention. En effet, l’approche « dimensionnelle », supposément plus flexible en regard de la traditionnelle approche « catégorielle », risque de bouleverser la pratique de nombre de psychologues et de psychiatres habitués à penser en termes de syndromes et non de traits isolés. Désormais, le clinicien « cotera » la présence et la sévérité des symptômes pour certains troubles. Bien que rendre compte d’un continuum d’intensité permette d’affiner la clinique psychiatrique, il appert que, comme l’écrit le médecin Bertrand Kiefer, « suivant où est placé le curseur sur le continuum, le marché de la maladie psychique pourrait considérablement s’accroître… ».

les stigmates d’un diagnostic

Concernant les ajouts ou modifications de diagnostics de nature inquiétante, relevons d’abord le trouble de dérégulation dit d’« humeur explosive ». Celui-ci s’appliquera aux 6 à 18 ans présentant une irritabilité persistante et des épisodes fréquents de manque de contrôle du comportement. Si l’APA soutient que ce nouveau diagnostic vise à réduire le surdiagnostic et le traitement du trouble bipolaire chez les enfants, il n’en demeure pas moins qu’en définitive, de nombreux enfants porteront les stigmates d’un diagnostic et seront l’objet de traitements pharmacologiques.

trouble dysphorique prémenstruel

Ensuite, le « trouble dysphorique prémenstruel », version sévère des variations d’humeur liée aux règles, laisse quant à lui présager un début de pathologisation du syndrome prémenstruel. Mesdames, l’heure est grave ! Un autre changement aberrant concerne le trouble de « symptomatisation somatique ». À l’avenir, il suffira d’un seul symptôme à l’établissement de ce diagnostic, là où précédemment il en fallait huit. Le cas de l’« hyperphagie boulimique » laisse également songeur. Selon ce nouveau diagnostic, se goinfrer immodérément dans le frigo deux fois par semaine pendant trois mois est désormais considéré comme pathologique, rien de moins. De plus, soulevons que, de par la refonte des troubles du spectre autistique qui modifie entre autres l’appellation et la nature du syndrome d’Asperger, plusieurs personnes ne pourront peut-être pas obtenir les mêmes services adaptés auxquels ils avaient droit alors que le diagnostic d’Asperger était un trouble à part.

exclusion du deuil

Par ailleurs, un changement particulièrement lourd de conséquences est l’abolition de « l’exclusion du deuil ». Une clause qui permettait aux personnes récemment endeuillées de ne pas être diagnostiquées du trouble dépressif majeur, à moins que les symptômes ne persistent au-delà de deux mois. En supprimant cette exclusion, on ouvre la voie à une médicalisation du deuil.

Il y a des aspects plus favorables, dont le non-ajout des diagnostics de psychose atténuée, de risque de psychose, de même que l’abandon du trouble mixte anxiété-dépression. Les diagnostics d’hypersexualité, de dépendance à la sexualité et d’addiction à Internet ont heureusement été rejetés. Ainsi, sous le poids de la critique, l’APA a, semble-t-il, plié. Il faut dire que certains de ces diagnostics, « pré-seuils » ou « pré-morbide », auraient pu ajouter des millions de malades, alors que d’autres diagnostics semblaient souffrir d’un préjugé culturel, moral ou encore idéologique qui s’enracinait dans « l’air du temps ».

Au final, s’il ne constitue pas la catastrophe annoncée, le nouveau DSM poursuit dans la voie d’une pathologisation excessive des émotions et comportements humains, faisant peu de cas des facteurs sociaux et des « maux de la société ».

la bible des psychiatres

Le DSM, que certains nomment la « bible des psychiatres », n’est pas qu’un simple livre, c’est un ouvrage hautement reconnu dans le milieu psychiatrique, mais aussi chez l’ensemble des intervenants travaillant en santé mentale et qui a, d’une certaine manière, le pouvoir de définir la normalité et la pathologie. Rien de banal donc. Le DSM est le livre sur lequel s’appuie une majorité d’expertises psychiatriques et il joue donc un rôle crucial à plusieurs égards : qu’il s’agisse de prescrire un médicament et son remboursement, de déterminer la capacité d’un employé à retourner au travail, d’orienter la scolarité d’un élève, d’excuser un crime par la folie…

les liens de plus en plus évidents entre les milieux psychiatrique et pharmaceutique

Par ailleurs, il est difficile, en parlant du DSM, de passer sous silence les liens de plus en plus évidents entre les milieux psychiatrique et pharmaceutique. Une étude publiée dans la revue Public Library of Science révèle que 69 % des 141 experts qui travaillent à la révision du manuel entretiennent des liens financiers avec l’industrie pharmaceutique. Naturellement, dans une perspective mercantile, les firmes pharmaceutiques ont tout à gagner dans l’universalisation et l’amplification des dérives du psychisme humain.

Il ne s’agit pas ici de s’inscrire dans le courant antipsychiatrique, mais bien de partager des inquiétudes face à la nouvelle version du DSM. Certes, ce dernier reste un outil pertinent. Il aide le clinicien à l’établissement du diagnostic, favorisant ainsi l’organisation et la planification d’un traitement. Il permet aussi la comparabilité des résultats et la communication entre les chercheurs et cliniciens. Mais à trop vouloir ne pas laisser de malades de côté, on accroît immodérément la sensibilité diagnostique et, dans la foulée, il peut y avoir surdiagnostic et surtraitement, de même qu’une banalisation du concept même de diagnostic.

un monde normalisé par la psychiatrie

Ce qui serait déplorable, comme le soutient Bertrand Kiefer « ce serait un monde normalisé par la psychiatrie, où la moindre impulsion créatrice, la plus petite transgression […] se trouverait cataloguée comme anormale, nuisible ». Un monde non loin du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley où tous consomment du « soma » assurant bonheur, conformité et cohésion sociale.



l’avenir de la psychiatrie ?

par Thomas Insel

Conférence de Thomas Insel le patron du NIMH qui a rejeté le DSM-5. Une psychiatrie neuroscientifique capable de diagnostiquer précocement, sachant qu’entre le moment du dysfonctionnement cérébral et celui de l’apparition des troubles (ils ne parviennent pas à dire symptômes !) il peut se passer une ou deux décades, et qu’un des principes de base d’une meilleure efficacité en médecine c’est l’intervention précoce. Bien entendu Thomas Insel parle des vraies maladies mentales.



voir aussi

le dossier DSM du Huffington Post



DSM-5 Statement by the Critical Psychiatry Network

Philip Thomas, M.D.

May 23, 2013

The following statement was posted on the Critical Psychiatry Network website in the UK on 23rd May 2013.

The Critical Psychiatry Network is concerned with the way the controversy over the publication of DSM-5 is being portrayed in the media and by some academic psychiatrists. The issues raised by the DSM are complex and require careful and studied consideration. There are two aspects in particular that concern us. These relate to the portrayal of the controversy as a guild dispute, and the polarisation of the debate as one of nurture versus nature.

1. Portrayal of the controversy as a guild dispute

A number of reports in the media have portrayed the storm of criticism of DSM-5 as a guild dispute driven by professional rivalries between psychologists and psychiatrists. This may have arisen because the DSM is a product of the American Psychiatric Association, and in the UK the debate in the media has been polarised as one between clinical psychologists and psychiatrists[ii]. This gross oversimplification is not supported by the evidence. Many psychiatrists are deeply concerned about the limitations and failings of diagnosis in psychiatry. These concerns were expressed in a recent special article co-authored by twenty-nine Members and Fellows of the Royal College of Psychiatrist, published in the British Journal of Psychiatry[iii] in December 2012.

The paper points out that since its origins in the early part of the nineteenth century, psychiatry has faced a fundamental question that remains unanswered: can a medicine of the mind work with the same epistemology as a medicine of the tissues. In recent decades, there has been a concerted effort to ignore this question and psychiatry has approached the ‘mind’ as if it was simply another organ of the body. It has assumed that problems with our feelings, thoughts, behaviours and relationships can be grasped with the same sort of diagnostic and scientific tools that are used to investigate problems with our livers, hearts and lungs. This model has not served psychiatry well. Whether we like it or not, mental problems resist both explanation in terms of simple causal models and categorization in terms of singular diagnostic categories. Over the last half a century leaders within the profession of psychiatry, academics who have devoted their professional lives to discovering the biological basis of psychosis, have acknowledged that biological and neurosciences have failed to establish the validity of a single psychiatric diagnosis [iv] [v] [vi] [vii] [viii]. Moreover, there are serious doubts about the nature and quality of the evidence for the effectiveness of most psychiatric drugs1 . Apart from their obvious mind-numbing effects, it has not been demonstrated that any type of drug used to treat mental health problems has any specific, or targetted action. The idea that psychiatric drugs correct underlying chemical imbalances or any other presumed abnormality is no more than a myth[ix].

2. Epistemological polarisation

We are also concerned about the way that some commentators, particularly from within academic psychiatry, question the importance of environmental factors in understanding psychosis. Many psychiatrists disagree with this position, and find such accusations unhelpful. Psychiatry has always prided itself on being an eclectic profession, one that recognises the importance of holistic approaches to understanding and responding to people who use mental health services. Biological, neureodevelopmental and genetic factors have little role to play in explaining psychosis because they are incapable of accounting for the complexity of consciousness and embodied experience[x]. In contrast, personal narratives of adversity have a central role in understanding how people cope with, and recover from, psychosis[xi] [xii]. To deny the importance of these factors is to deny the importance of finding meaning in suffering, a prerequisite for recovery.

Our view is that there is an urgent need for a measured debate about psychosis and distress, one that engages with the scientific evidence that a wide variety of experiences of adversity including childhood trauma and racism are linked to the development of psychosis in adulthood [xiii] [xiv] [xv] [xvi] [xvii] [xviii] [xix]. We believe that an important outcome of such a debate would be forms of psychiatric practice that engage fully with the diverse understandings that service users and carers have of their experiences. However, the very nature of mental problems demands that we move beyond positivistic approaches to research and scientific modeling. We believe that there is an urgent need to promote collaborative research with service users about the nature of mental illness itself as well as looking at what helps people in their struggles towards recovery.

Conclusions

The controversy over DSM-5 is not a guild dispute or turf war. Psychiatrists, psychologists, and mental health professionals across the disciplines reject medical type diagnoses like DSM-5 as ways of describing the varied human experiences that we call mental disorders and support ways of formulating these that capture their complexity and diversity. There are many other voices engaged in the debate over the future of psychiatric diagnosis who share our concerns. The Hearing Voices Network has expressed serious reservations about DSM-5, and rightly drawn attention to the importance of the perspectives of experts by experience in the debate about the controversy[xx]. Mental Health Europe, a non-governmental organisation that represents a diverse range of perspectives, including experts by experience, carers and professionals from a range of disciplines has also expressed deep concern about DSM-5 and the future direction of psychiatric diagnosis[xxi]. Many psychiatrists, too, share these concerns, and we will continue to support the need for, and contribute to an informed public debate about the limitations and failings of psychiatric diagnosis symbolised by DSM-5. The DSM is incapable of capturing the full range of experiences of distress in the way that narrative formulation can.

References

See, for example, Frank Furedi’s article in The Independent Friday 17th May 2013, accessed at http://www.independent.co.uk/voices/comment/despite-what-the-dsm-implies-medical-intervention-is-not-always-the-answer-to-mental-health-issues-8621109.html on 20th May 2013

[ii] See http://www.guardian.co.uk/science/2013/may/12/dsm-5-conspiracy-laughable accessed 20th May 2013

[iii] Bracken, P., Thomas, P., Timimi, S. et al (2012) Psychiatry beyond the current paradigm. British Journal of Psychiatry, 201:430-434.

[iv] Robins, E. & Guze, S. (1970) Establishment of Diagnostic Validity in Psychiatric Illness: Its Application to Schizophrenia. American Journal of Psychiatry, 126, 983 – 987

[v] Kendler, K. (1980) The Nosological Validity of Paranoia (Simple Delusional Disorder) Archives of General Psychiatry, 37, 699 – 706.

[vi] Andreasen, N. (1995) The Validation of Psychiatric Diagnosis: New Models and Approaches. American Journal of Psychiatry, 152, 161 – 162.

[vii] Kendell, R. & Jablensky, A. (2003) Distinguishing Between the Validity and Utility of Psychiatric Diagnoses. American Journal of Psychiatry; 160:4–12

[viii] Anckarsäter, H. (2010) Beyond categorical diagnostics in psychiatry: Scientific and medicolegal implications. International Journal of Law and Psychiatry, 33, 59–65.

[ix] Moncrieff, J. (2008) The Myth of the Chemical Cure: A critique of Psychiatric Drug Treatments. Basingstoke, Palgrave Macmillan.

[x] Tallis, R. (2011) Aping Mankind: Neuromania, Darwinitisand the Misrepresentation of Humanity. Durham, Acumen.

[xi] Davidson L. Living Outside Mental Illness: Qualitative Studies of Recovery in Schizophrenia. New York University Press, 2003.

[xii] Mancini MA, Hardiman ER, Lawson HA. Making sense of it all: consumer providers’ theories about factors facilitating and impeding recovery from psychiatric disabilities. Psychiatr Rehabil J 2005; 29: 48–55.

[xiii] Read, J., van Os, J., Morrison, A., Ross, C. (2005) Childhood trauma, psychosis and schizophrenia: a literature review with theoretical and clinical implications. Acta Psychiatrica Scandinavica, 112: 330–350, DOI: 10.1111/j.1600-0447.2005.00634.x

[xiv] Read J, Perry BD, Moskowitz A & Connolly J. (2001)The contribution of early traumatic events to schizophrenia in some patients: A traumagenic neurodevelopmental model. Psychiatry;64:319-45.

[xv] Read, J, Bentall, R. & Fosse, R. (2009) Time to abandon the bio-bio-bio model of psychosis: Exploring the epigenetic and psychological mechanisms by which adverse life events lead to psychotic symptoms. Epidemiologia e Psichiatria Sociale, 18, 4, 299-310

[xvi] Boydell. J., van Os, J., McKenzie, K., Allardice, J., Goel, R., McCreadie, R., Murray, R. (2001) Incidence of schizophrenia in ethnic minorities in London: ecological study into interactions with environment British Medical Journal; 323 doi: http://dx.doi.org/10.1136/bmj.323.7325.1336

[xvii] Janssen, I., Hanssen, M., Bak, R., Bijl, V, De Graaf, R., Vollebergh, W., McKenzie, K. & Van Os, J. (2003) Discrimination and delusional ideation British Journal of Psychiatry, 182, 71 – 7 6.

[xviii] Karlsen, S. & Nazroo, J. (2002) Relation Between Racial Discrimination, Social Class, and Health Among Ethnic Minority Groups American Journal of Public Health 92, 624 – 631.

[xix] Karlsen, S. & Nazroo, J., McKenzie, K., Bhui, K. & Weich, S. (2005) Racism, psychosis and common mental disorder among ethnic minority groups in England. Psychological Medicine, 35, 1795–1803. doi:10.1017/S0033291705005830

[xx] See http://www.hearing-voices.org/about-us/position-statement-on-dsm-5/ accessed 20th May 2013

[xxi] See http://www.mhe-sme.org/news-and-events/mhe-press-releases/dsm5_more_harm_than_good.html accessed 20th May 2013
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Nous reviendrons sur cet excellent article, publié sur blog, ultérieurement. Nous commençons par vous le livrer tel quel.

PHG


DSM, mon amour. Dispute sur la nature de l’âme humaine

28 mai 2013

par Michel Rotfus

Flectere si nequeo Superos, Acheronta movebo

Si je ne parviens pas à fléchir ceux d’en haut, je ferai bouger le peuple de l’Achéron.

Virgile, Enéide, VII, 312, citation mise en exergue par Freud à la Traumdeutung.[1]

« La question “Qu’est-ce que la psychologie?” semble plus gênante pour tout psychologue que ne l’est, pour tout philosophe, la question “Qu’est-ce que la philosophie?”. Car pour la philosophie, la question de son sens et de son essence la constitue, bien plus que ne la définit une réponse à cette question. Le fait que la question renaisse incessamment, faute de réponse satisfaisante, est, pour qui voudrait pouvoir se dire philosophe, une raison d’humilité et non une cause d’humiliation. Mais pour la psychologie, la question de son essence ou plus modestement de son concept, met en question aussi l’existence même du psychologue, dans la mesure où faute de pouvoir répondre exactement sur ce qu’il est, il lui est rendu bien difficile de répondre de ce qu’il fait. Il ne peut alors chercher que dans une efficacité toujours discutable la justification de son importance de spécialiste, importance dont il ne déplairait pas absolument à tel ou tel qu’elle engendrât chez le philosophe un complexe d’infériorité.(…) »

Georges Canguilhem, Qu’est-ce que la psychologie ?[2]

« Tout homme « normal » porte en lui le germe de la folie. Tout homme, sans exception, peut à la seconde, basculer dans un autre monde ».

Edouard Zarifian, Les jardiniers de la folie.[3]

Une très vieille question sans cesse actualisée : qu’est-ce que l’âme ?

La réponse à la très vieille question « qu’est-ce que l’âme ? » semble aujourd’hui toujours aussi indécise, partagée entre celles de la neurologie et de la génétique d’un côté, c’est-à-dire des sciences naturelles, de la psychologie comme science des réactions et du comportement d’un autre, et enfin d’une science du sens intime où, après une longue et tâtonnante histoire[4] s’est établi pendant un temps le triomphe d’une psychologie des profondeurs de l’âme sous le nom de psychanalyse. « Le psychique n’est plus seulement ce qui est caché, mais ce qui se cache, ce qu’on cache, il n’est plus seulement l’intime, mais aussi – selon un terme repris par Bossuet aux mystiques – l’abyssal »[5].

Dans ce champ de tension définitionnelle, -la question reste de savoir si l’on peut dire conceptuelle-, on aura beau chercher ce que les philosophes peuvent aujourd’hui en dire : ils sont absents de cette interrogation. Qui prétendrait courir le ridicule d’un « traité de l’âme »[6], si l’on veut bien se souvenir qu’étymologiquement, psychologie signifie science de l’âme ? Le badigeonnage lexical qui consiste à habiller en franco-grec du nom de psyché, psychisme, ce que le latin nomme anima, âme, ne change rien à l’affaire. Ou plutôt, il nous montre clairement où se tient tout discours à prétention savante sur ce que l’âme-psychisme est supposé être.

L’ancienne « folie » dont Michel Foucault a retracée l’histoire flamboyante, a laissé place à l’aliénation mentale, puis aux maladies mentales. Etant désormais à part entière une branche de la médecine, la médecine mentale en épouse aussi la méthode en constituant ses nosographies, dans une histoire riche et mouvante. Georges Canguilhem a pu déclarer à ce propos que l’histoire de la médecine aliéniste et de la médecine mentale n’est peut-être rien d’autre que celle des changements de nom des entités nosographiques, des maladies[7].

Qu’on ne s’y trompe pas la question, n’a rien de spéculatif, au sens courant et banal, fortement péjoratif, de ce qui est fondé uniquement sur la théorie et non sur la pratique, de ce qui est abstrait, conceptuel, idéaliste, chimérique, c’est à dire métaphysique, philosophique. Elle est scientifique au sens le plus noble du terme, et donc épistémologique[8] comme on dit en France. La bataille qui se déploie depuis quelques temps autour de la publication, qui vient d’avoir lieu, du DSM-5, pour peu qu’on lui prête une attention suffisante et suffisamment éclairée[9], montre que nous sommes ici au cœur d’enjeux qui concernent la vie personnelle de chacun, la « santé » mentale et la souffrance psychique, mais aussi bien la normalité et le pathologique, l’organisation de la vie sociale, le rôle du politique dans son emprise sur les personnes comme sur le champ du social. C’est à dire, de ce que Michel Foucault a nommé dans son cours au Collège de France, la Biopolitique[10].

L’usage s’en aujourd’hui généralisé : un bon nombre de professionnels du domaine de la santé mentale utilisent le DSM pour déterminer les diagnostics après évaluation et les communiquer à leurs patients. Les classificatio­ns des troubles et maladies mentales sont désormais enseignées dans la formation de ces `professionnels.

Je cite le texte de présentation du dossier publié par le journal Le Monde du 13 mai dernier [11]:

Pétitions, appels au boycott, déclarations et livres-chocs de spécialistes dénonçant un ouvrage « dangereux » qui fabrique des maladies mentales sans fondement scientifique et pousse le monde entier à la consommation de psychotropes… Aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays dont la France, la tension monte dans les milieux psy, à quelques jours de la présentation officielle de la nouvelle édition du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), prévue au congrès annuel de l’Association de psychiatrie américaine (APA) qui se tient du 18 au 22 mai à San Francisco.

Si les précédentes révisions – les deux dernières ont eu lieu en 1980 et en 1994 – ont déclenché des controverses, jamais elles n’ont, semble-t-il, été aussi vives que pour cette nouvelle mouture. Comme le souligne avec humour un article paru le 25 avril dans Nature, l’une des seules suggestions qui n’a pas soulevé de hurlements de protestation pendant le processus de révision a été… le changement de nom, de DSM-V en DSM-5.

Le DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5 pour cinquième édition) est l’ultime version d’un ouvrage qui règne sur la psychiatrie mondiale en décrivant, une par une, les 450 pathologies mentales qui nous menacent.

« La colère gronde, des pétitions et des manifestes circulent, y compris outre-Atlantique, pour « dénoncer cette psychiatrisation à outrance de nos modes de vie ».Au point qu’aux États-Unis, le très sérieux National Institute of Mental Health prend ses distances »[12].

En France, la mobilisation monte :

Après une très efficace campagne de presse conduite par le psychiatre et psychanalyste Patrick Landman, et par les portes paroles du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, campagne qui a été fortement relayée par tous les medias, doivent se tenir deux grandes réunions publiques : l’une à Villejuif les 31 mai et 1er juin 2013
organisée par le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire[13], et les CEMEA, les « ASSISES CITOYENNES pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social[14] ». L’autre , organisée par Patrick Landman à la Maison de Métallos, Paris 11ème, le samedi 1er. juin : Quel diagnostic en psychiatrie ?

« On doit se battre, » dit avec force Patrick Landman dans l’article déjà cité du journal Libération (…) il énumère les dangers qui nous guettent : « Non au surdiagnostic, non à la pathologisation de la vie quotidienne, non à la surprescription médicamenteuse ». On pourrait en sourire, (…) mais l’enjeu est réel. Et crucial puisqu’il concerne la frontière sans cesse redéfinie entre le normal et le pathologique. »C’est le triomphe du symptôme, la mort du sujet avec son histoire personnelle et singulière », (…) ».

Ecoutons le s’expliquer plus précisément sur France-Info le 23 avril dernier :

On est dans une spirale du pire. On est passé d’un peu moins de 150 troubles mentaux en 1980, à 400 actuellement sans que cela reflète un progrès scientifique. Il s’agit d’une véritable surpathologisation : ainsi l’hyperphagie c’est à dire la gourmandise excessive (trois « crises » par mois), le syndrome prémenstruel, ou les colères enfantines qui ont des causes complexes, deviennent des maladies mentales. Une pseudo pathologie soignée avec de vrais médicaments. Avec leurs corollaires : la surprescription de psychotropes. Bien sûr il y a des conflits d’intérêts entre ceux des patients ,-mais c’est chacun qui d’une manière qui d’une manière ou d’une autre va le devenir-, et ceux de l’a

Association de Psychiatrie Américaine (l’APA), et les grands laboratoires pharmaceutiques. C’est aussi une affaire de méthode en privilégiant le paradigme de l’homme neuronal, on ne voit pas la part des autres facteurs sociaux, familiaux, psychiques.

Tout ceci se traduit par une augmentation considérable de la vente de psychotropes. 20% des américains en consomment et les effets à long terme sont sous analyse.

Les psychiatres et plus largement les médecins-généralistes-distributeurs-de-médicaments portent une lourde responsabilité dans l’affaire : ils ont une connaissance légère, insuffisante de la psychopathologie et se rabattent sur ce système expert, de façon a-critique. Il est très simple et donne une réponse rapide.

Les enfants sont les premières victimes de cette situation. Il y a une augmentation artificielle du nombre d’enfants invalidés. Or, avec les enfants, il n’est pas possible de faire des études pharmacologiques. Les prescriptions qui les concernent sont hors autorisation de mise sur le marché. Ils sont nombreux à être diagnostiqués autistes. « En science, on découvre des maladies. Avec le DSM, on invente des maladies ».

Comment en est -on arrivé là ?

Pour répondre à cette question, remontons le temps de plus d’un demi-siècle.

Au début des années 1950, les psychiatres américains se mettent au travail, pour répertorier les troubles mentaux. C’est un ouvrage de référence qui classifie et catégorise des critères diagnostiques et des recherches statistiques de troubles mentaux spécifiques : il s’agit d’obtenir un outil de travail le plus univoque possible et de pouvoir parler la même langue psychiatrique. Cet objectif pourrait sembler normal et louable du point de vue de la rigueur scientifique et de l’efficacité thérapeutique dans un domaine qui, sommes toutes, est une branche de la médecine. Autrement dit, il s’agit d’unifier la nosographie[15], c’est-à-dire le système de classifications des troubles et maladies mentales.

Le premier DSM (DSM I) est publié en 1952, et diagnostique 60 pathologies différentes. La deuxième édition (DSM-II) est éditée en 1968 et elle diagnostique 145 pathologies différentes. Ils étaient très fortement influencés par la psychopathologie psychanalytique et structurés entre deux formes majeures de troubles psychiques, les psychoses et les névroses.

Le DSM III en 1980, effectue une rupture importante dans l’histoire de la psychiatrie en rompant avec la psychanalyse et la psychiatrie qui s’en inspirait et en instituant un système a-théorique de classification des troubles mentaux, toujours en vigueur aujourd’hui, comportementaliste et anti-psychanalytique. Pour les auteurs anti-freudiens du DSM III et de ses versions successives corrigées, il s’agissait de permettre à n’importe quel psychiatre, quelle que soit son école de pensée, de faire le même diagnostic, confronté à un même patient. Il s’agit de retenir les fréquences statistiques en une sorte de modèle fabriqué à partir d’une moyenne statistique, qui fait penser de loin à l’idéal type selon Max Weber[16]. Il n’y a donc ici aucune prétention à atteindre des entités nosographiques dans leur réalité essentielle. Le système de classification vise à ramener les pathologies psychiatriques aux pathologies somatiques. Il repose sur un modèle biomédical et évacue toute considération sur l’étiologie des troubles psychiatriques. Ainsi, la différenciation classique entre névrose et psychose s’estompe, l’hystérie est démantelée en plusieurs catégories diagnostiques, de nouvelles catégories comme l’état de stress post-traumatique ou le trouble de la personnalité multiple apparaissent. Les catégories sont définies par des critères diagnostiques quantitatifs pour augmenter la fiabilité du diagnostic et sa reproductibilité. Cette méthode a été validée par l’Association américaine de psychiatrie (APA) [17].

Le DSM-IV est publiée en 1994 et reconnaît 410 troubles psychiatriques. Il est légèrement révisé en 2000 (DSM-IV-TR). Il prolonge et approfondit le travail entamé avec le DSM-III. Le DSM-IV est un système de classification par catégories qui sont des prototypes. Ainsi un patient possédant une approximation du prototype est classé dans ce trouble.

Le DSM 5 qui vient de paraître le 22 mai, poursuit dans cette logique, en démultipliant le nombre de pathologies identifiées, en pathologisant les habitudes de la vie quotidienne.

Des critiques viennent des milieux psychiatriques liés à la génétique et aux neurosciences. L’un des grands experts psychiatres américains (du NIMH, l’Institut national de santé mentale), le docteur Thomas R. INSEL dénonce le DSM 5 en lui reprochant d’avoir quitté la science (les causalités) au profit des symptômes (le comportement). Il propose de recentrer la psychiatrie vers un autre projet (Research Domain Criteria, ou RDoC) en relation avec la génétique et les neurosciences. Curieuse critique : car le DSM, depuis sa troisième édition, en tournant le dos à toute approche étiologique a quitté toute démarche en terme de cause. On peut voir, derrière cette montée au créneau des neurosciences et de la génétique, une ambition d’intégrer le domaine de la maladie mentale dans celui des sciences du cerveau et de mettre les maladies de l’âme sur le même plan que celui de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson.

Par rapport aux systèmes antérieurs de classification des maladies mentales marquées par la diversité, l’hétérogénéité, on pourrait trouver louable l’homogénéisation du système des maladies. Elle est en fait problématique et les effets sont catastrophiques.

Ce qui ici fait problème, c’est justement qu’il s’agit de maladies mentales et non pas de maladies organiques. En ce qui concerne les maladies organiques, si on prend l’exemple d’une tumeur cancéreuse, il est bon et même nécessaire que la pathologie soit identifiée, comprise, et exprimée dans une langue univoque, s’appuyant sur des symptômes identifiés et interprétés de la même façon, et que le mode de traitement soit codifié, après avoir été éprouvé, de manière à permettre l’efficacité maximale du diagnostic et des soins. Ainsi, dans la diversité des services cancérologiques des hôpitaux d’un même pays comme dans ceux des hôpitaux de tous les pays du monde, les médecins cancérologues disposeront d’un même protocole leur permettant la même compréhension de la même tumeur cancéreuse et une efficacité maximale dans leurs soins.

Mais en ce qui concerne les troubles et les maladies de l’âme, ce modèle est inopérant et dangereux : ces troubles et ces maladies relèvent de compréhensions et de traitements qui non seulement sont divers mais opposés et incompatibles entre eux. Quelle convergence possible entre une thérapie chimique et d’autre part une thérapie fondée sur la relation parlée entre thérapeute et patient et sur leur lien transférentiel entre eux comme c’est le cas en psychanalyse et dans la psychiatrie dynamique qui s’en est inspirée ? Sous cette exigence d’homogénéisation, c’est en fait un coup de force et une prise de pouvoir qui s’opèrent par l’organicisme et le tout chimiothérapeutique.

On pourra tout au plus espérer une complémentarité thérapeutique qui, sur un plan pragmatique, relève du pur bon sens : thérapie par la parole (psychothérapie, psychanalyse,….) ET anxiolytiques, antidépresseurs, antipsychotiques. Ce qui s’est pratiqué bien sûr, mais tend à disparaître au fur et à mesure que la psychanalyse disparaît du champ des soins psychiatriques. Car cet événement, encore impensable il y a une trentaine d’années se réalise aujourd’hui sous nos yeux.

Il s’est très progressivement traduit sur le terrain dans la formation des personnels psychiatriques, des infirmières aux médecins chefs, en passant par les travailleurs sociaux : la psychanalyse est en train de disparaître des lieux d’enseignement dans les formations universitaires, – où les postes de professeurs agrégés faisant des carrières hospitalo universitaires se raréfient comme une peau de chagrin – . Elle disparaît aussi des lieux de soins, c’est-à-dire des services psychiatriques des hôpitaux, des cliniques psychiatriques et autres maisons de santé, des C.M.P. et des C.M.P.P. où les personnels de santé pratiquent suivant ce qu’ils ont appris à pratiquer.

Il ne s’agit pas seulement ici de techniques et de stratégie de soins au sens le plus noble possible, mais de la formation de la personne soignante qui va se trouver au contact des soignés, de leurs symptômes, de leurs souffrances et de leurs angoisses, et de celles des familles et de leurs demandes. Comment résister à ce déferlement de difficultés et d’horreurs. Comment faire avec ça ? Qu’en faire ? Le traiter comme une matière brute qui fait partie du tableau avec laquelle négocier et composer, ou bien comme des éléments exogènes, parasites, indésirables et agressifs, dont il faut se protéger et se débarrasser ? Faut-il considérer qu’il y a interaction subjective entre médecin psychiatre (et bien sûr tout le reste du personnel) et malade, ou bien que le psychiatre doit occuper une position de surplomb, verticale et autoritaire, depuis son supposé savoir, caché derrière l’armure de sa blouse blanche.

Car l’originalité de la technique psychanalytique et de sa clinique, est de ne pas être seulement un outil parmi d’autres dans la boîte à outil thérapeutique. Un exemple précisera le sens de mon propos : le Professeur Pierre Delion, Chef
du Service Psychiatrie Enfant et Adolescent du CHRU de Lille, explique[18] qu’il a lui-même effectué deux psychanalyses pour pouvoir faire son travail de pédopsychiatre auprès des enfants autistes comment pouvoir être devant la détresse et la souffrance des enfants autistes et de leur famille sans se barder de défenses ? Comment être à l’écoute, ne pas projeter aveuglément ses propres peurs et ses angoisses ?

On peut comprendre que, faute de ce travail sur soi, les médecins psychiatres et tous ceux qu’ils entraînent à leur suite dans leur service, se réfugient dans la nosographie, qu’ils ont tant bien que mal apprise, comme dans une forteresse, cachés derrière l’autorité de leur blouse blanche, observant les patients sur les écrans de contrôle de la salle de surveillance, réalisation idéale du Panoptique de Bentham, se satisfaisant de n’être plus que des distributeurs de molécules, et faisant appel, à l’aide miraculeuse de la fée électricité sous la forme d’électrothérapie, autrement nommée électrochocs, toujours pratiqués.

Georges Canguilhem dans Qu’est-ce que la psychologie ?[19] se réfère malicieusement à Nietzsche qui propose de faire une psychologie du psychologue. « (…) Nietzsche, esquissant la psychologie du psychologue au XIXe siècle écrit: “Nous, psychologues de l’avenir … , nous considérons presque comme un signe de dégénérescence l’instrument qui veut se connaître lui-même, nous sommes les instruments de la connaissance et nous voudrions avoir toute la naïveté et la précision d’un instrument, donc nous ne devons pas nous analyser nous-mêmes, nous connaître”.[20] Étonnant malentendu et combien révélateur! Le psychologue ne veut être qu’un instrument, sans chercher à savoir de qui ou de quoi il est l’instrument ».

Étonnante prémonition de ce maître en épistémologie : il n’y a qu’à remplacer psychologues par psychiatres pour avoir sur eux un jugement d’une pertinence aigue. Poursuivons la lecture. Il entreprend un « (…) embryon de psychologie du testeur. La défense du testé c’est la répugnance à se voir traité comme un insecte, par un homme à qui il ne reconnaît aucune autorité pour lui dire ce qu’il est et ce qu’il doit faire. “Traiter comme un insecte”, le mot est de Stendhal qui l’emprunte à Cuvier[21]. Et si nous traitions le psychologue comme un insecte; si nous appliquions, par exemple, au morne et insipide Kinsey la recommandation de Stendhal ? ».

Et si nous traitions le psychiatre comme un insecte?

Qui sera à la place du « morne et insipide Kinsey » ?

Désormais, la chimiothérapie, le tout-psychotrope, est le seul horizon thérapeutique, assorti de méthodes inspirées des T.C.C. Les thérapies cognitives et comportementales sont peut-être de quelque utilité dans le sevrage tabagique, mais on peut douter de leur quelconque efficacité dans le domaine des maladies mentales. C’est pourquoi je n’en parlerai pas ici.

Au nom d’une simplification, d’une clarification, d’une unification, le DSM III va effectuer cet acte qui relève de la tératologie[22] épistémologique en séparant le regard clinique de la compréhension étiologique, c’est à dire de la relation causale entre la nature du trouble ou de la maladie et ses manifestations dans les signes observables.

Si l’étiologie est la recherche des causes de la maladie, la mise en rapport des signes cliniques et des causes qui les provoquent, la psychanalyse dispose d’une étiologie des névroses, puisqu’elle en propose une psychogenèse par une théorie de la relation conflictuelle des instances psychiques, nourrie d’événements perturbateurs au cours de l’enfance de chaque sujet[23]. Le sujet névrosé se distingue très nettement du sujet psychotique : il peut converser assez tranquillement avec le thérapeute de ses difficultés existentielles, tandis que le psychotique est agité, et envahi par son délire hallucinatoire. Mais les « cases » de la nosographie psychanalytique ne sont pas figées et il faut ici se garder de tout dogmatisme nosologique : dans leur évolution, le névrosé peut entrer dans des crises hallucinatoires aigues alors que le psychotique qui s’est chronicisé ne laisse plus apparaître que des symptômes qu’on pourrait prendre pour ceux d’un névrosé lambda.

Cette psychogenèse psychanalytique se trouve en concurrence avec une « organogenèse » des psychoses qui enracine dans le cerveau leur origine et leur cause. Le courant antipsychiatrique qui s’est développé en particulier aux USA, en Angleterre et en Italie enracine dans des causes sociales, dans l’interaction entre les sujets et un milieu perturbant, les causes des troubles psychiques. Une bataille féroce s’est livrée à l’intérieur de ce triangle psychogenèse/organogenèse/sociogenèse. L’histoire, dans son mouvement, peut être facétieuse et spirituelle : avant Freud, les termes de névrose et de psychose avaient un contenu strictement inverse : les névrosés souffraient de maladie des nerfs, c’est à dire, organiques, ainsi la maladie de Parkinson faisait-elle partie des névroses, tandis les psychoses étaient des maladies de l’esprit d’où l’organique était à peu près exclu.

Avec la découverte puis l’emploi systématique des psychotropes, la question de la psychogenèse des maladies ainsi soignées ne se posent plus. Les psychotropes modifient la chimie cérébrale : ils sont utilisés comme moyens thérapeutiques pour traiter les troubles mentaux dans une perspective symptomatique. En aucune manière, ils n’ont d’effets sur les causes des troubles psychiques. Leur irruption et leur succès dans le traitement des maladies mentales sont le fruit du hasard et pas du tout d’une recherche fondée sur une hypothèse neurobiologique. Ainsi en a-t-il été par exemple de la découverte du lithium[24]. Comme à Byzance au VIII ème. et IX ème. siècles où iconoclastes et iconodules se déchiraient, ce monde se divise en chimiâtres, adulateurs du tout chimiothérapeutique, et chimi-athées, avec, entre les deux, toutes les nuances. Ils ont chacun leurs croyances sur l’étiologie des maladies et adulent ou rejettent les molécules miraculeuses en fonction de celles-ci. Ces croyances pourraient être ce que Georges Canguilhem nomme des « idéologies scientifiques »[25], sortes de proto-science, c’est-à-dire science qui n’est pas encore arrivée à maturité, qui prend son modèle sur une science déjà constituée, mais qui du fait qu’elle n’appréhende pas son objet dans sa spécificité a un fondement mal assuré et utilise des méthodes approximatives qui en retour légitiment les pratiques sociales et l’ordre politique et économique.

Il est cependant difficile ici de les examiner à la lumière de ce concept-outil car…elles n’existent purementet simplement pas en tant que doctrines un tant soit peu constituées. Les neurosciences peinent à trouver dans le cerveau les causes des maladies sur lesquelles ces molécules sont actives sans qu’on puisse aujourd’hui encore comprendre pourquoi. Cette neurogenèse des maladies mentales reste encore à venir. Pour autant qu’elle le puisse. Voilà qui doit limiter leurs prétentions, sinon leurs ambitions.

Une véritable farandole de molécules, un grand huit de médicaments, une kyrielle d’effets non souhaités.

En revanche, l’usage désormais systématique et très largement pratiqué de ces molécules (les médecins généralistes, alors qu’il ne sont pas neuropsychiatres, administrent les tranquillisants de façon encore plus généreuse que les tubes d’aspirine) pose plusieurs ordres de problèmes.

Si les médicaments sont assez efficaces dans la plupart des cas pour effacer les symptômes, dépression, anxiété ou délire, l’administration au long cours de traitements chimio-thérapeutiques s’avère au bout d’un certain temps inefficace, quand s’installe une chronicité de la maladie, véritable démenti à leur supposée efficacité et à leur toute puissance. Les malades, regroupés ou non en associations d’usagers de la psychiatrie, -ou plutôt d’anciens usagers-, de plus en plus puissantes et présentes dans les instances des institutions de soins et de réflexion sur la santé mentale, s’auto-soignent, en se médiquant ou au contraire en se sevrant, ou en pratiquant toutes sortes de médecines parallèles. Ceux qui ne sont pas parvenus à se prendre en charge eux-mêmes, sont plongés dans l’errance. Nous en croisons parfois, sans le savoir, à l’abandon sous un porche ou un quai de métro, obscurs SDF dépressifs ou psychotiques, abandonnés de tous et dans les marges de la société et de la santé mentale, quand ils ne se suicident pas purement et simplement.

D’autre part, au plus près des préoccupations thérapeutiques, c’est-à-dire des soins, le tout chimiothérapeutique, produit de graves dégâts par l’accumulation des molécules ingérées. On pourrait parler ici, en paraphrasant la carte des desserts de certains restaurants, d’une véritable farandole des molécules. La chose prêterait à sourire si elle n’était pas tragique. Le tableau est quasiment apocalyptique.

Je parle ici de la diversité et de l’importance des « effets non souhaités » comme le disent les notices des laboratoires pharmaceutiques avec un extraordinaire humour involontaire. Si l’on s’en tient aux médicaments les plus fréquemment administrés, ce sont les anxiolytiques, les anti dépresseurs, et immédiatement derrière, les anti-psychotiques qui arrivent en tête du palmarès.

Voici la liste de ces effets : desséchement buccal, hyper sudation, démangeaisons cutanées, perte de la libido et impuissance, perte de la faim, perte de poids, troubles visuels, chutes de cheveux, insomnies, développement d’un parkinson (dyskénesies, hyperkenesies), perte de la vigilance, perturbation de l’activité motrice, troubles de la thyroïde. Tous ces troubles somatiques vont bien sûr être à leur tour soignés, pour autant qu’il puissent l’être efficacement. D’où de nouvelles ordonnances de médicaments complémentaires. Et d’autres médicaments encore pour protéger l’appareil digestif de leurs effets. De plus, ces antidépresseurs, anxiolytiques, et autres anti-psychotiques ne se contentent pas de dégrader le corps des malades. C’est le psychisme lui-même qui est attaqué : ils peuvent produire des renforcements des symptômes qu’ils sont censés soignés comme le développement d’angoisses paniques, qui seront à leur tour traitées par les psychiatres, portés par une véritable hubris comme sur un grand huit de fête foraine thérapeutique qui les emporte dans une fuite en avant. D’où ensuite un renforcement des nouveaux « effets non souhaités », et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps.

Ces « effets non souhaités » ne se limitent pas aux effets somatiques. C’est l’intégrité de l’intimité de la subjectivité qui est atteinte. Les fonctions intellectuelles sont aussi affectées : le plus souvent c’est la mémoire qui est dégradée en premier, voire totalement « blanchie ». Le langage se défait, jusqu’à ne plus pouvoir qu’ânonner : il devient difficile d’articuler une idée, encore plus d’en articuler deux ensemble, pour soi comme pour autrui. Disparition du langage mais aussi des idées. Difficile aussi de décider, de choisir, de vouloir : l’activité volontaire est atteinte. Il n’est pas exagéré de dire que c’est le sujet, dans son intimité et celles des fonctions qui supportent la subjectivité qui est atteint, molesté, dégradé. Jusqu’à ne plus pouvoir exister comme sujet et à connaître une errance intérieure dans les confins des territoires où l’esprit se perd. Camisole chimique n’est pas un vain mot. Un faible rayon de lumière, une prise de conscience peut survenir : la personne ainsi atteinte, sans être suicidaire, peut souhaiter la fin. Le miracle d’un sursaut peut se produire : c’est alors une course au sevrage afin d’être débarrassé de cette vertigineuse fuite en avant dans les symptômes morbides et leurs traitements. Mais ce n’est pas sans risque : c’est jouer véritablement avec la fortune, bonne ou mauvaise, en risquant les effets rebonds, c’est-à-dire, du fait de l’arrêt soudain, la production décuplée de symptômes d’angoisse panique, de dépression ou d’états maniaques. De cette loterie, on n’en sort pas toujours gagnant.

En outre, grâce aux nomenclatures du DSM et aux exigences des classements imposées en France par la sécurité sociale pour prendre en charge les patients, comme par les assurances privées aux Etats Unis pour les rembourser, un nombre considérable de personnes se retrouvent, à leur plus grande surprise, du jour au lendemain, étiquetées psychotiques, ou plutôt, pour parler le langage actuel, bipolaires et soignées comme telles. Les exigences institutionnelles pervertissent l’inscription du malade dans la grille nosographique. S’appuyant sur l’ombre et les vestiges de l’autorité de l’ancien pouvoir psychiatrique, le médecin psychiatre déclare à son patient qui n’en peur mais, sur un ton péremptoire et inspiré : « Vous êtes bipolaire. Voici votre traitement. A compter de telle date, je vous propose de vous joindre au groupe de thérapie de malades bipolaires que j’anime. Je suis spécialiste des maladies bipolaires! ».

Décrire la réalité conduit à être soupçonné de caricaturer dans une intention de dénigrement. Pourtant, dans certains services psychiatriques de certains hôpitaux, le lien thérapeutique entre soignants et soignés se réduit à la question quotidienne posée par l’interne au patient : « Sur une échelle de zéro à dix, comment situez vous votre angoisse ce matin ? On peut aisément imaginer ce que devient le regard clinique[26] du supposé thérapeute, réduit à être un M. Homais de la distribution de molécules, obsédé par son protocole et par l’évaluation quantitative de l’angoisse. Ou, suivant les cas, de l’agitation maniaque. On peut songer aussi à ce que devient l’alliance thérapeutique dans une telle relation si peu riche et si peu humaine, où le médecin n’est taraudé que par une seule question : « est-il, est-elle ou non suicidaire ? », puisque le suicide est désormais une maladie qui se traite paraît-il avec des médicaments.

De la nature de l’âme.

Cette question, celle de la nature de l’âme est au cœur de toute préoccupation sérieuse ayant pour objet l’étiologie des maladies de l’âme. On l’aura compris, la psychiatrie de la chimie en fait l’économie, elle l’ignore comme elle ignore la réponse qu’elle y apporte.

Pourtant, qu’elle le veuille ou non, elle réduit l’être humain à un malheureux tas de molécules et à leur mécanisme, à une chose. Aujourd’hui, l’histoire du jeune Werther ou de Mme Bovary se résumerait à un article dans les colonnes des faits divers des journaux, ramenée par les psychiatres à une affaire d’exaltation maniaque d’un bipolaire en crise ou de sérotonine à re-capturer par les bonnes molécules. Elisabeth Roudinesco, dans un livre ancien de quelques années mais d’une actualité brûlante[27] s’interroge : qu’en est-il des psychotropes et de la pharmacologie dans la prise en charge des maladies mentales ? Face à cette négation de la vie psychique par les théoriciens de « l’homme-machine », que devient la psychanalyse ? Ne se trouve-t-elle pas ruinée ? A-t-elle encore un avenir ?

Dans une véritable défaite du sujet, l’homme cognitif, objet des neurosciences a remplacé l’homme désirant et l’individualité a remplacé la subjectivité, chaque individu étant traité de façon uniforme par la même pharmacie. Fin de la singularité irréductible de la relation intersubjective du discours et de l’écoute. Ainsi est-on passé de l’affrontement à l’évitement, du culte de la gloire à la revalorisation des lâches.

Dans ce monde ainsi brossé, l’histoire récente de la psychiatrie a vu le triomphe de la pharmacologie et du comportementalisme. Verra-t-on un jour, dans la vitrine d’un libraire, au milieu du pullulement des autofictions, un ouvrage intitulé Autobiographie d’un ordinateur ? se demandait Georges Canguilhem, qu’Élisabeth Roudinesco cite longuement, en appuie de sa défense de l’inconscient freudien face aux thèses « matérialistes », parfois réductionnistes, des neurobiologistes et des cognitivistes. Le cerveau de l’homme nouveau fabriqué par le positivisme neurobiologique ou cognitiviste ressemble à celui que fabrique Frankenstein dans le roman de Mary Shelley. L’inconscient freudien soutient Élisabeth Roudinesco « n’est pas assimilable à un système neural, [et pas non plus] intégrable à une conception cognitive ou expérimentale de la psychologie. Et, pour autant, il n’appartient pas au domaine de l’occulte ou de l’irrationnel » (pp. 69-70).

Aujourd’hui c’est tout autant le problème de la conscience qui est posé, de l’homme-sujet, face à l’homme neuronal, de l’homme responsable, faisant exister son « je » dans l’espace du « jeu » des déterminations multiples qui l’agissent, qu’elles soient externes, sociales, et économiques, ou internes, neuronales ou humorales.

Laure Murat dans son très beau livre[28] sur les malades mentaux dans l’asile du XIX ème. s., animée par une véritable passion de l’archive, a travaillé sur celles de Sainte Anne et de la Salpetrière, en décelant la parole entre les lignes qui concernent ceux qui ont basculé de l’opinion politique au délire morbide. Pour mesurer le passage de l’une à l’autre, il lui a fallu aller chercher cette parole, non pas dans les écrits des fous, mais dans ceux des psychiatres, avec leur vocabulaire, leur syntaxe et leur style. Ce travail de l’archive souligne-t-elle est devenu impossible à propos de la psychiatrie d’aujourd’hui. Elle ne pourrait jamais écrire un livre équivalent traitant des patients du temps présent: la reconnaissance du droit des « usagers » de la médecine, leur libre accès (du moins en principe) à leur dossier médical, limite considérablement ce que les psychiatres s’autorisent à écrire d’eux. Les comptes-rendus d’entretien comme les feuilles journalières de surveillances sont minimalistes, écrits en style télégraphique, la plupart du temps par les membres du service, infirmières, élèves infirmières, aides-soignantes, sans être ensuite reprises par le psychiatre, pour être l’objet d’une synthèse assortie de commentaires. La psychiatrie est devenue muette et terne.

Qu’aurait-elle à dire d’ailleurs quand la seule chose qui l’intéresse est de noter les variations des réactions aux molécules afin de les ajuster, en plus ou en moins, ou d’en changer jusqu’à trouver la bonne. Misère de la psychiatrie loin, très loin du dynamisme fondé sur l’apport de Freud, dans la première moitié du XXème. siècle. Aujourd’hui, il ne s’agit plus à l’hôpital d’écouter la plainte de ceux qui s’y sont égarés à chercher secours, asile ou hospitalité. Il s’agit encore moins d’entendre et de laisser parler le délire quand il s’exprime, mais d’obturer plaintes et délires par les molécules appropriées. On peut encore aujourd’hui se promener dans le parc de l’hôpital Esquirol, nouveau nom donné en 1973 à l’hôpital Charenton, où le Divin Marquis finit ses jours. Dans son « postambule », par lequel se termine son livre, c’est avant tout à « l’histoire de la folie » et de son traitement – et bien sûr aussi à ce que le sort des aliéné(e)s dit de la société où ils vivent jusque dans notre actualité immédiate, évoquée in fine – que Laure Murat s’intéresse, en héritière critique de Michel Foucault.

Elle y évoque sa visite faite à Charenton –Esquirol, lieu de relégation centralisé dans le cadre de la psychiatrie de secteur de malades hagards, enfermés dans une sorte de salle commune au péristyle ancien, abrutis par les traitements chimiques. Dans ce parc, au centre de tous les regards, se dresse une statue d’Esquirol protégeant de son manteau un aliéné étendu à ses pieds : mémorial muet de ce que fut, dit-elle, « la période la plus brillante de la psychiatrie française ».

De celle où la psychiatrie avait une âme.

Est-elle désormais révolue ?

Cela dépendra de nous et de notre capacité à dire non ! A refuser cette machine à déshumaniser et à promouvoir une médecine de l’âme encore à venir qui soit à l’écoute des patients c’est à dire hospitalière.

[1] L’interprétation du rêve, traduction et présentation par J. P. Lefebvre, p. 23, Seuil, 2010.

[2] Georges Canguilhem, Qu’est-ce que la psychologie ?, conférence, prononcée au Collège philosophique le 18 Décembre 1956 et publiée dans la Revue de Métaphysique et de Morale, 1958, n° 1, 12 – 25.

Repris dans Cahiers pour l’analyse 2. Edité par Le Graphe.

[3] Edouard Zarifian, Les jardiniers de la folie, Poches Odile Jacob, 2000.

[4] Henri F. Ellenberger, Histoire de la découverte de l’inconscient, présenté par Elisabeth Roudinesco, Fayard 1994, Médecines de l’âme, Essai d’histoire de la folie et des guérisons psychiques, textes réunis et présentés par Elisabeth Roudinesco, Fayard, 1995.

Michel Foucault, Folie et déraison, histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1961 et

Maladie mentale et psychologie, PUF 1954 et 1962. Ouvrage collectif : Penser la folie. Essais sur Michel Foucault, Galilée, 1992.

[5] Georges Canguilhem, ibid., II, C.

[6] C’est à Aristote qu’on doit l’un des tout premiers, sous les titres successifs « Peri psuchè », « De anima », « De l’âme », suivant que l’on passe du grec au latin, puis du latin au français.

[7] Notes personnelles du séminaire de G. Canguilhem (1970-1971) sur l’histoire de la médecine mentale,à la fin du XIXè s.

[8] Epistémologie (du grec ancien ἐπιστήμη / epistếmê connaissance, science et λόγος / lógos, discours: dans la tradition philosophique française, c9e mot désigne le domaine de la philosophie des sciences qui étudie soit les sciences particulières, soit la théorie de la connaisance en général. En France, l’épistémologie a le statut institutionnel d’une discipline à part, distincte de la philosophie et de l’histoire : elle constitue ainsi la section 72 du CNU. Elle y occupe plusieurs dizaines de laboratoires, dont notamment l’IHPS, le Centre de recherche en épistémologie appliquée, RERHSEIS, le Centre François Viete, les Archives Henri Poincaré, le Centre Georges Canguihem, l’IRIST, l’unité Savoirs et Textes, ou le GRS, qui regroupent des centaines de chercheurs. Elle intéresse plus d’une vingtaine d’écoles doctorales et des sociétés savantes comme la Société de philosophie des sciences (dépendant de l’ENS Ulm) ou la SFHST ou des listes de diffusion comme Theuth. Ou encore comme la SIHPP.

[9] Pour une information correcte et complète on pourra se reporter au livre de Patrick Landman : Tristesse business, le scandale du DSM 5. Edit. Max Milo.

et aux dossiers proposés par

– le site de la SIHPP : http://www.sihpp.sitew.com/#Textes_d_actualite.F

– le site du CIFP : https://www.cifpr.fr/+-DSM-5-+

[10] Naissance de la Biopolitique. Cours au Collège de France. 1978-1979. ; Hautes Etudes. Gallimard/Seuil, 2004.

[11] Psychiatrie : DSM-5, le manuel qui rend fou. Présentation par Sandrine Cabut du dossier proposé par Le Monde Science et Techno, 13.05.2013.

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/05/13/dsm-5-le-manuel-qui-rend-fou_3176452_1650684.html

[12] Libération : Fronde contre la psychiatrie à outrance 7 mai 2013. http://www.liberation.fr/societe/2013/05/07/fronde-contre-la-psychiatrie-a-outrance_901586

[13] Le Collectif contre la nuit sécuritaire est animé principalement par les Dr. Patrick Chemla et Hervé Bokobza, psychiatres.

Les CEMÉA : je résume ce qu’on peut lire sur leur site (http://www.cemea.asso.fr/spip.php?article6771) : mouvement d’éducation nouvelle, association d’éducation populaire, et organisme de formation professionnelle, ils sont porteurs depuis plus de 70 ans, d’une large expérience sociale et collective. Les Ceméa sont reconnus d’utilité publique et sont agréés par les grands ministères de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, de l’Action sociale, de la Culture, de la Communication, des Affaires étrangères. Ils se sont donnés pour objectifs : construire l’éducation nouvelle au 21e siècle. Faire vivre l’éducation, développer les pratiques culturelles et la lutte contre toutes les exclusions. Agir dans les institutions pour la jeunesse et l’éducation populaire. S’engager pour le développement durable et pour les solidarités nouvelles, entre les générations, en Europe et dans le monde. Consolider les centres de vacances et de loisirs et se mobiliser pour le droit aux vacances pour tous. Leur projet s’appuie sur les valeurs de l’éducation nouvelle et la mise en action des individus, par les méthodes d’éducation active.

[14] La plaquette de présentation de ces assises est consultable à : http://www.collectifpsychiatrie.fr/wp-content/uploads/2013/02/Plaquette-Assises.pdf

Elle rappelle sa mobilisation contre l’ensemble de lois et des mesures réglementaires, tendant à normaliser les conduites et les populations, et pour certaines à les criminaliser, demandant leur abrogation, et appelant à une psychiatrie centrée sur le soin des personnes en souffrance psychique, la réinventant et la refondant.

[15] La nosographie est la description et classification des maladies.

[16] Dans la sociologie de Max Weber, l’idéal type n’a pas pour finalité de retranscrire la réalité : c’est seulement un guide dans la construction des hypothèses. Il consiste tout d’abord à relier dans une trame commune, des phénomènes potentiellement disparates de l’expérience. Il faut ensuite apporter une cohérence à l’ensemble des traits ainsi reliés, quitte à en atténuer voire à en gommer certains, et au contraire à mettre en avant d’autres. L’idéaltype est une production idéalisée, qui n’a qu’une simple valeur logicienne : il est le support de comparaisons et de classements et constitue une utopie qui doit aider à la réflexion.

[17] Le livre de Stuart Kirk et Herb Kutchins, Aimez-vous le DSM ? Le triomphe de la psychiatrie américaine, Les empêcheurs de penser en rond, Synthélabo. 1998, retrace cette épopée, dont un des épisodes marquants a été la question du retrait de l’homosexualité hors des maladies mentales. Cette « avancée » s’est faite dans un contexte de très violentes polémiques aux Etats Unis. Mais au-delà, il analyse la nouveauté radicale des classifications des mentales.

[18] Il l’a redit encore lors de son intervention vendredi 31 mai dernier, aux Assises citoyennes pour l’hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social.

[19] Op. cit.

[20] Nietzsche .La volonté de puissance, trad. Bianquis, livre III, § 335.

[21]“Au lieu de hall le petit libraire du bourg voisin qui vend l’Almanach populaire, disais-je à mon ami M. de Ranville, appliquez-lui le remède indiqué par le célèbre Cuvier; traitez-le comme un insecte. Cherchez quels sont ses moyens de subsistance, essayez de deviner ses manières de faire l’amour”. Stendhal, Mémoires d’un Touriste, Calmann-Lévy, tome II, p. 23).

[22] Si la tératologie (du grec τέρᾰς, monstre et logos, science) est l’étude scientifique des malformations congénitales, l’étude des monstres, (être vivant présentant une importante malformation), on comprendra mon jeu de mots qui désigne ici une théorie scientifique elle même monstrueuse.

[23] Pour toutes ces explications, je me suis largement inspiré de celles d’Edouard Zarifian dans Les Jardiniers de la folie.op. cit.

[24] E. Zarifian, op. cit., p. 79-chap. 3, Les médicaments du cerveau.

[25] Idéologie et rationalité dans l’histoire des sciences de la vie. Vrin, série « Problèmes et controverses »,

1977.

Voir la très remarquable étude qu’en fait Pierre Macherey Canguilhem et le concept d’idéologie scientifique, 14-05-2008, Groupe d’études la philosophie au sens large, CNRS/Lille 1 et 3. On en trouve le texte sur :

http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20072008/macherey14052008.html

[26] Le terme « clinique » vient du grec klinikê, repris en latin sous le terme clinicus : il se dit de ce qui se fait près du lit des malades. Clinique est un terme de médecine au sens où une leçon clinique est celle qui est donnée dans un hôpital près du lit des malades. Il désigne l’observation directe qui se fait auprès du malade, par l’identification des signes cliniques qui vont permettre l’établissement d’un diagnostic. Le concept de regard clinique peut être compris comme un langage technique sur les corps des malades, construisant de manière raisonnée un diagnostic en se fondant sur l’analyse systématisée des signes et des symptômes que le « technicien du corps » aura perçus. La médecine moderne s’est édifiée en même temps que s’est construit ce regard clinique : il réunit, en une relation singulière, le médecin et la personne soignée.

Voir Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF. 1963.

[27] Élisabeth Roudinesco, Pourquoi la psychanalyse ? Fayard, 2000.

[28] Laure Murat, L’homme qui se prenait pour Napoléon, Pour une histoire politique de la folie, Gallimard, 2011



STOP DSM: AVERTISSEMENT D’INCENDIE

16 octobre 2012
par Gilles Olivier Silvagni

Dans la marine de l’ancien temps, il y avait une mascotte sur chaque navire: souvent un chat, parfois un petit chien, surveillé de près par l’équipage, choyé et gâté par des marins pourtant réputés pour leur cruauté envers les animaux. C’est que la santé – la maladie ou la mort – de cette mascotte annonçait le destin de l’équipage.

Qu’on m’exuse ici de cette histoire archi-connue, mais enfin, c’est le moment ou jamais de bien se souvenir que le plus faible d’entre nous est le premier à pâtir du sort funeste qui nous attend.

Et c’est exactement ce qui est ici en question : ce qui nous attend si nous laissons faire.

Je le souligne avec d’autant plus d’insistance, que, bien que profondément convaincu de la bonté naturelle de l’espèce humaine, je ne crois pas superflu de rappeler ici que c’est du sort de chacune et chacun d’entre nous qu’il est question dans cette affaire, et que, sans une solidarité et une volonté politique farouche, nous passerons tous sinon à la casserole au moins à la camisole chimique. Une camisole chimique déjà si volontiers et si bien portée au pays de Pinel et de Charcot, où l’on se goinfre de benzodiazepines, d’opiacés et autres neuroleptiques.

La catastrophe annoncée et dénoncée ici même à plusieurs reprises dans les blogs de médiapart menace plus que jamais de venir encore envenimer la situation désastreuse des malades mentaux, qu’ils soient hospitalisés, en obligation de soins, ou encore comme c’est de plus en plus le cas après les lois scélérates votées sous Sarkozy: en prison.

psychiatrie à l’agonie

Quant à la psychiatrie, qui n’a plus d’internat, dont les infirmiers ne sont plus reconnus comme les vrais professionnels qualifiés qu’ils sont, et dont le budget est misérable: elle est à l’agonie, depuis que les DSM III et IV sont devenus, erreur fatale, la référence en matière de diagnostic et de prescription.

Avec le DSM V dont on annonce la prochaine entrée en vigueur, désormais il y a le feu.

Voici le texte intégral d’une pétition. C’est un texte long, détaillé, qui ne peut se permettre de simplifier mais qui est accessible aux non-spécialistes au prix d’un effort pourtant nécessaire.

De plus, ce texte révèle une situation sinistrée et peu connue de l’opinion publique: il mérite d’être lu attentivement par toutes celles et ceux qui savent à quel point ce qui se joue dans le domaine de la santé mentale, et ce qui s’ourdit contre les plus vulnérables d’entre nous, est annonciateur des pires dérives en matière de libertés individuelles.

Pour signer : cette pétition (adresse rendue inopérante avec le temps)

La « souffrance psychique » déborde la définition habituelle des maladies, car elle peut concerner chacun. L’Organisation Mondiale de la Santé la considère comme une priorité. Mais l’O.M.S. s’est engagée sur ce terrain selon un choix univoque, en considérant comme un acquis scientifique le manuel de l’A.P.A. (American Psychiatric Association). Ce choix unique de l’O.M.S. porte un nom générique, celui du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). Sa troisième version stigmatise les conflits d’intérêt en psychiatrie et elle est contemporaine des recommandations de traitements comportementalistes et des TCC. Et comme ces méthodes sont aléatoires, elles participent de la promotion d’un complément pharmacologique indispensable.

1. Quelle est la valeur scientifique du DSM ?

Son ancêtre, le SCND est une compilation empirique rédigée en 1932 pour l’armée américaine. En 1948, l’O.M.S. s’en est servie pour rédiger l’International Classification of Diseases, qui en est à sa dixième version (ICD10 ou CIM10 pour la France). Les différentes versions du DSM ont été rédigées depuis 1952 par l’American Psychiatric Association. Alors que le DSM II prenait en compte l’approche dynamique de la psychopathologie, le DSM III, qui parut en 1980, a évacué toutes références à la psychanalyse au nom d’une totale neutralité théorique. Il en résulte une méthodologie descriptive, volontairement ignorante des concepts psychologiques à partir desquels aurait pu s’élaborer une classification objective, clinique et scientifique des grands champs de la psychopathologie.

Il existe de nombreux sous-ensembles du DSM. Leur méthodologie va à contresens des critères d’objectivité de n’importe quelle branche des sciences de la nature, comme de ceux de n’importe laquelle des sciences humaines. Pour qu’une observation prétende à la scientificité, il faut qu’elle isole des invariants latents, des déterminismes qui font axiomes et dégagent des structures réduites. Cette démarche s’appuie sur l’observation de faits en se gardant de tout présupposé. Elle s’appuie sur les acquis de l’expérience qui seule permet de vérifier leur intérêt diagnostique et leur valeur prédictive. C’est le contraire de la méthodologie du DSM, qui n’a aucun précédent dans aucune science, sinon les premières classifications encyclopédiques (Linné, Buffon…) qui classaient les espèces selon des caractères distinctifs avant de se tourner vers des classifications comparées mettant en évidence des traits communs aux différentes espèces. Dans son introduction, il est vrai, le DSM se déclare idéologiquement athéorique. Mais est-ce possible dans la recherche ? Le DSM démontre lui-même que non, car il suffit qu’une liste de « troubles » manifestes soit établie sans tenir compte des structures où ils s’inscrivent, il suffit que ces « troubles » soient détachés des circonstances subjectives de leur éclosion, pour que l’hypothèse d’une cause organique s’impose aussitôt. Cette conception réductionniste d’un « homme machine » n’a trouvé jusqu’à ce jour aucune preuve corroborée par l’expérience, y compris dans les travaux neuroscientifiques les plus reconnus.

Au contraire du DSM, les avancées scientifiques les plus récentes dans le domaine de la neuroplasticité ou de l’épigenèse montrent qu’on ne peut plus opposer causalités psychique et organique, puisque la première influe sur la construction de la seconde. La prédictibilité s’en trouve subvertie : on n’utilise jamais deux fois le même cerveau. Mais en supprimant la causalité psychique, le DSM impose en contrecoup la causalité organique. Ce choix est d’autant plus antiscientifique qu’il proscrit d’autres références et que son usage est imposé aux praticiens dans le codage des diagnostics. Or l’impossibilité de réfuter un point de vue a pour conséquence de le faire sortir du domaine de la science (comme l’a montré Karl Popper). Quelle que soit l’idéologie de scientificité des troisième et quatrième versions du DSM, leur méthodologie ne l’est pas.

La deuxième caractéristique antiscientifique de la méthodologie DSM est qu’elle rassemble des statistiques qui ne concernent pas les patients, mais les avis d’un échantillon de psychiatres. Il ne s’agit pas d’observations cliniques, mais du décompte des opinions, parfois recueillies de manière arbitraire. Cette méthode d’apparence démocratique n’a jamais existé dans l’histoire des sciences. Un vote ne peut servir de preuve, et cette nomenclature a été mise ainsi sous la coupe de l’opinion, comme le montre sa légitimation par le terme de consensus. Il s’agit d’un indice de popularité, mais en aucun cas de validité scientifique.

Ces premières caractéristiques non scientifiques du DSM, ne font cependant pas obstacle à leur intérêt épidémiologique, qui peut entrer dans le cadre d’une gouvernance rationnelle. Si l’on tient à s’en servir à cette fin, les praticiens ne devraient pourtant pas être contraints de s’y référer dans un but diagnostique et pronostique, obligation d’ailleurs contraire à l’éthique médicale et à celle des soins psychiques.

2. Quelle est la validité clinique de cette méthodologie ?

Evidence Based Medecine

Les répertoires de « troubles » et de « dysfonctionnements » ne donnent de la souffrance psychique que des clichés de surface. Dans aucune branche de la médecine, un praticien ne diagnostiquerait une maladie en se fiant aux apparences, à l’expression manifeste d’un symptôme. Comme les retours d’invariants réguliers sont évités par principe, les descriptions de surface se multiplient : la référence à l’Evidence Based Medecine, qui entend privilégier la preuve dans un but de plus grande efficience montre son objectif en limitant l’exploration clinique à l’évidence la plus superficielle ou en mélangeant des éléments d’ordre hétérogène (cliniques et moraux en particulier) : ainsi par exemple, comme l’a remarqué le Pr. Misès à propos du « trouble des conduites », « l’incivilité » devient une maladie.

faux positifs

Le résultat est une inflation de « troubles » qui corrobore l’absence de scientificité, alors que cette dernière permet au contraire de limiter la grande variété des manifestations à quelques types cliniques, dont le nombre est réduit. Depuis la version de 1952, le DSM est passé du recensement de 106 pathologies à 410 « troubles » identifiés dans sa version actuelle. La prochaine version, le DSM V, en cours d’élaboration, devrait enregistrer au moins une vingtaine de catégories supplémentaires. En termes de pathologie mentale, elle aura construit des « faux positifs » dont les seuls bénéficiaires risquent d’être les groupes pharmaceutiques. De plus, cette inflation favorise la naissance de concepts fourre-tout qui justifient des pratiques de soins dangereuses et ségrégatives pour les enfants.

suppression de l’hystérie

Dans les versions passées du DSM, une catégorie clinique aussi constante que l’hystérie, dont la consistance est attestée par l’expérience depuis l’Antiquité, a été supprimée. De même, la névrose n’est plus homologuée depuis 1980 et, l’homosexualité a dû attendre 1987 pour ne plus être considérée comme une maladie mentale. En fait, la sexualité n’a, paradoxalement, plus de statut depuis cette date… On en retire l’idée que ces statistiques se réfèrent à la culture américaine, à ses normes et à ses modes, alors que ces classifications de psychopathologie ont une ambition internationale. L’O.M.S., en effet, compte imposer l’application de l’ICD dans le monde entier d’ici quelques années.

syndrome de risque

Pour ce qui concerne maintenant le futur projet de DSM V, il invente de nouvelles catégories de nature uniquement dimensionnelle, basée sur l’amplitude des manifestations jugées pathologiques, comme par exemple « le trouble d’hypersexualité » ou « le trouble paraphilique coercitif ». Beaucoup plus inquiétant encore, l’instauration de valeurs prédictives prévoit des « troubles » futurs. Chacun sera ainsi potentiellement un malade et donc susceptible d’être traité préventivement. Cette inflation vertigineuse va atteindre des sommets avec l’invention de « syndromes de risque », tel que le « syndrome de risque psychotique » qui imposerait, en passant de la prévention à la prédiction, de prescrire systématiquement des psychotropes à une proportion non négligeable d’adolescents jugés atypiques. Et cela, alors qu’aucun test de terrain n’en justifie l’utilité. Une telle extension de la pathologie pourrait d’ailleurs s’avérer contraire aux Droits de l’Homme.

3. Le DSM nuit à la santé

Avec un catalogue de critères suffisamment large, un psychiatre ne sera bientôt plus nécessaire. Un médecin ne le sera pas non plus, ni même un infirmier. Le pharmacien pourra distribuer directement des psychotropes. Si c’était vers cette politique de santé que les États étaient orientés, quelle en serait l’efficacité ?

malade dificile

Un diagnostic DSM répertorie des manifestations comportementales sans la profondeur de champ d’aucune structure d’ensemble psychopathologique, et cela à rebours de toute la psychiatrie clinique. Chaque comportement correspond à une case à cocher et n’est plus que le signe d’un « désordre » érigé en entité pathologique innée. S’y ajoutent des notions comme celle de « malade difficile », ou de « non compliance au traitement ». Enfin, certaines catégories DSM (par exemple, celles codées de F20 à F31) vont à l’évidence être mises au service de transferts de compétences vers le médico-social, vidant la psychiatrie publique et privée de son contenu. Déjà, dans certains services de la région parisienne, et au nom de l’objectivité, le recueil de check-lists dès le premier entretien a détrôné la sémiologie clinique, jugée subjective, ainsi que l’approche dynamique des symptômes. Le DSM supprime toute référence à une causalité psychique ou historique, sans laisser sa place aux événements traumatiques de la vie du patient et de son anamnèse ; tout est programmé comme si la condition humaine pouvait être médicalisée. La cure relationnelle, ou simplement la parole sont invalidées comme outils thérapeutiques, de sorte que les patients qui ont un besoin urgent de se confier risquent de choisir des thérapies non scientifiques, voire sectaires, avec la caution involontaire des pouvoirs publics.

Sur la base de ces check-lists, la plupart des patients sont médicamentés abusivement ou trop longtemps. Comme le même symptôme joue dans des structures différentes, qui ne commandent pas la même conduite thérapeutique, et comme ce symptôme est susceptible d’être étouffé par un traitement pharmacologique, la cause première de la souffrance psychique devient méconnaissable et le patient, inguérissable bien que lourdement médicalisé. Dans la mesure où elles soulagent des effets et non leurs causes, les prescriptions s’auto-reconduisent et augmentent dangereusement, jusqu’à la dépendance – sinon à l’addiction. Lorsqu’un protocole de soin échoue, au lieu de le remettre en question, on crée plutôt une nouvelle catégorie. De sorte que les thérapies médicamenteuses, d’abord souvent utiles, finissent par avoir un résultat contre-productif. D’autant plus que les effets indésirables à long terme de médicaments récents sont encore inconnus et que les études prévisionnelles entre bénéfices et risques sont souvent sujettes à caution.

Ce cercle vicieux s’initie aujourd’hui dès l’enfance. Pour une action préventive en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, les pédopsychiatres, en majorité de formation analytique, veulent collaborer avec les pédiatres et les intervenants scolaires, afin de détecter les signes de souffrance psychique. Et cela afin d’éviter qu’une souffrance latente évolue et se fixe en psychose, en névrose sévère ou en une inadaptation permanente. Or, le prochain DSM V transforme cette prévention en anticipation thérapeutique : on ne soigne plus l’enfant pour ce dont il souffre maintenant mais pour le trouble qui pourrait un jour se manifester chez lui. Cette « prédictibilité » risque d’enfermer dans un diagnostic à vie et une médicamentation pour des psychopathologies qui ne sont même pas encore apparues. Au contraire, lorsque la souffrance psychique est entendue, ce soin évite la fixation d’une pathologie.

4. Le DSM oriente les enseignements vers une pratique unique

Le succès du DSM ne procède pas de la réception positive des praticiens. Au contraire, il leur a été imposé de l’extérieur. Il a pris de l’expansion d’abord grâce aux compagnies d’assurance et aux groupes de pression qui ont exigé ses références pour leurs remboursements, aux USA et dans certains pays d’Europe. Les entreprises pharmaceutiques sont également à l’origine de grilles d’adéquations entre les catégories du DSM et l’administration de médicaments. Ces différents lobbies ont été suffisamment puissants pour amener des universités de plus en plus nombreuses à mettre le DSM au premier plan de l’enseignement, mis ainsi au service d’intérêts classificatoires, idéologiques ou financiers.

massivement tributaire du DSM et de la pharmacologie

Les futurs cliniciens sont formatés dans l’ignorance de la clinique classique. Dans l’enseignement, le préalable organiciste élimine tous les points de vue qui l’ont précédé, opérant une rupture que ne fonde l’apparition d’aucun nouveau paradigme. Jusqu’à la fin des années soixante-dix, une relative unité de la psychopathologie prévalait. La psychiatrie clinique européenne s’était enrichie grâce aux apports de la psychanalyse et de la psychologie. Ces échanges interdisciplinaires se sont cloisonnés depuis 1980 seulement, et cela de manière infondée, puisque l’objet de la psychopathologie reste le même. Aujourd’hui, l’ensemble de l’enseignement de la psychiatrie est majoritairement tributaire du DSM et de la pharmacologie. Seules les U.F.R. de psychologie enseignent encore une diversité de points de vue. Mais pour combien de temps encore ? Cette relative diversité n’est pourtant pas équitable, car ce ne sont pas les psychologues qui prennent les décisions thérapeutiques. De plus, ce clivage entre psychologues et psychiatres alimente une « guerre idéologique » inutile dont les patients et les budgets font les frais.

l’essentiel de l’enseignement post-universitaire assuré par les laboratoires pharmaceutiques

Non seulement l’enseignement médical se fait dans le pli du formatage unique DSM, mais, de plus, l’essentiel de l’enseignement post-universitaire est assuré par les laboratoires pharmaceutiques. De sorte que cette formation alimente l’expansion des prescriptions médicamenteuses, toute autre orientation de recherche étant proscrite.

lobbying occulte

Enfin, un lobbying occulte, jamais discuté démocratiquement, oblige les chercheurs à publier dans des revues qualifiantes, souvent anglo-saxonnes et de la même orientation, s’ils veulent accéder aux postes universitaires. La CFTMEA française a ainsi entravé la carrière de certains universitaires en les empêchant de publier dans des revues anglo-saxonnes, « faute de langage commun ».

5. L’orientation infléchie par le DSM est coûteuse pour les États

Les choix de l’O.M.S. retentissent de proche en proche sur les systèmes de santé des États, et entraînent des décisions onéreuses. À tous les niveaux de la santé mentale, le DSM est devenu l’instrument comptable des budgets administrés par des gestionnaires qui organisent la santé à partir de contraintes financières. Les problèmes de santé restent ainsi non traités et sont finalement plus coûteux. Des commissions inconnues du public prennent des décisions sur cette base, et comme leur référence est le DSM, elles privilégient les traitements pharmacologiques (voire chirurgicaux), sur le fond d’une paupérisation, voire d’une destruction de l’organisation sectorielle de la psychiatrie articulant l’intra et l’extra hospitalier. Le DSM est devenu le cheval de Troie de l’industrie pharmaceutique dans la pratique médicale quotidienne et principalement celle des médecins généralistes, prescripteurs de 80% des psychotropes.Ces orientations thérapeutiques génèrent un coût économique lourd pour les États et les systèmes de solidarité comme la Sécurité Sociale. Le coût n’est pas seulement un transfert de fond au bénéfice de l’industrie pharmaceutique. Il existe aussi une utilisation « médico-économique ». En fonction du codage DSM, des « taux de patients » de même que « l’intensité de soins » sont répertoriés à l’avance, et imposent des limitations thérapeutiques.

On peut avoir une idée de l’importance des coûts générés par les diagnostics DSM en examinant les différences de prescription en psychiatrie de l’enfant entre les pays qui se conforment au DSM et ceux où un autre point de vue est resté majoritaire : en France, près de 20 000 enfants prennent de la Ritaline, ce qui est bien loin des 55 000 enfants anglais et surtout des 3 millions de Canadiens et de 7 millions concernés aux USA. On ne s’étonne pas des liens d’intérêts financiers entre comité d’experts du DSM IV et industrie pharmaceutique, qui ont été maintes fois révélés, si l’on sait que les médicaments psychotropes représentant un marché extrêmement profitable. Aux USA, en 2004, les antidépresseurs ont généré 20,3 milliards de dollars de profit, les anti-hallucinatoires, 14,4 milliards. Certaines catégories cliniques épousent au plus près les indications de nouvelles molécules, préfigurant une classification pharmacologique sur mesure au gré des exigences du marketing. Une telle coïncidence entre catégorie clinique et effets des molécules ne peut que favoriser une chimiothérapie de masse.

Au contraire, si d’un point de vue financier les traitements qui privilégient la relation intersubjective paraissent d’abord plus chers en infrastructure et en personnel qualifié, ils sont à terme plus économiques, outre qu’ils gardent aux soins leur dimension humaine.

Il est possible de mettre un terme à l’hégémonie néfaste de cette nomenclature

L’O.M.S. et la W.P.A. (World Psychiatric Association) ont tenu en 2001 à Londres un symposium sur les classifications internationales. La difficulté des débats a amené l’O.M.S. à décréter un moratoire sur les révisions du DSM V et du ICD 10, jusqu’à cette année. En réalité, la valse des révisions du DSM n’a été menée qu’à la seule initiative de l’Association psychiatrique américaine et non des praticiens, comme prévu initialement. En attendant, les conséquences de l’usage du DSM sont journalières, et sont lisibles aussi bien dans certains rapports de l’INSERM que dans les décisions législatives concernant la santé mentale, ou en profondeur dans les effets ségrégatifs et sécuritaires qui grèvent non seulement le soin, mais légitiment une gouvernance politique de l’humain, dès le plus jeune âge. Désormais, le DSM est également utilisé devant les tribunaux et son apparence objective est d’autant plus dangereuse qu’elle se masque du discours de la « science ».

L’expérience a montré que les acteurs de la santé pouvaient faire reculer les effets de l’idéologie DSM. Par exemple, le succès de la pétition « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » , signée par plus de 200 000 personnes, suite à l’expertise INSERM sur « le trouble des conduites », a amené l’INSERM à relativiser des travaux pourtant donnés comme scientifiques. De même, l’« Appel des appels » a capitalisé les critiques à l’égard des nomenclatures avec celles de la santé, de l’enseignement, ou de la recherche, en regroupant l’initiative de « Sauvons la Clinique ». D’autres réponse aux menaces actuelles ont déjà eu lieu, ou sont en cours, comme « Le collectif des 39 contre la nuit sécuritaire » qui a réuni récemment (octobre 2010) plus de mille personnes à Villejuif.

2003 – États Généraux de la Psychiatrie

En 2003 à Montpellier, les États Généraux de la Psychiatrie ont déjà permis une prise de position commune à l’égard du DSM IV d’une grande partie des associations psychiatriques, de la presque totalité des associations psychanalytiques et du SIUERRPP qui regroupe une grande majorité des enseignants-chercheurs-praticiens en psychopathologie clinique. La plupart des sociétés psychanalytiques françaises ont signé à cette occasion une déclaration où elles se proposaient « de travailler en commun avec les professionnels de la psychiatrie à la construction d’une référence psychopathologique plus en accord avec la réalité clinique du sujet ». Comme le note cette déclaration, le DSM engendre une pratique qui « confond le malade et la maladie. Une pratique qui ne tient pas compte de la subjectivité de l’inconscient, du conflit psychique, autant de concepts qui montrent que nos patients ont une histoire et un univers relationnel qui sont partie prenante dans la clinique qu’ils présentent ».

Nous voulons œuvrer positivement pour une clinique de la subjectivité

Le nombre des signataires de ce manifeste constitue une expertise largement aussi pertinente que les statistiques de l’A.P.A.. Nous considérons que – s’il est toujours légitime de faire de nouvelles hypothèses, comme celle du DSM –, cette nomenclature s’est imposée par des moyens extérieurs à la recherche, et elle bloque le cours normal des échanges scientifiques.

1/ Nous estimons que les cliniciens

attentifs à la souffrance psychique et à son traitement se trouvent aujourd’hui confrontés au problème supplémentaire que constitue l’imposition de cette pensée unique, faussement consensuelle, et à son utilisation dangereuse dans les décisions thérapeutiques, gestionnaires et politiques. Nous estimons qu’il faut limiter l’inflation dangereuse et coûteuse des catégories pathologiques. Il faut reprendre le fil de la clinique qui s’était construite en plusieurs siècles grâce aux échanges de la psychiatrie, de la psychologie, de la psychanalyse, de l’anthropologie.

2/ Il faut faire cesser

les pressions administratives sur les cliniciens, pressions qui, sous couvert d’exigences comptables, leur dictent une conduite thérapeutique. N’est-il pas temps, par exemple, de prendre position contre la V.A.P. (Valorisation de l’Activité en Psychiatrie) ou bien d’envisager des refus de cotation (ou bien coter F 99 – autre) ?

3/ Une méthodologie scientifique

respectant des points de vue contradictoires doit être rétablie dans ses droits. Nous exigeons à cet égard un rétablissement de la pluralité des points de vue doctrinaux dans l’enseignement, et la libération du carcan DSM dans la recherche et les revues qualifiantes. L’obligation d’un « langage DSM », d’une langue psychiatrique unique, ne doit plus servir de critère pour publier dans les revues internationales. Seul l’objet de la recherche doit entrer en ligne de compte. La pluralité des références conceptuelles doit être respectée et promue. Le DSM n’est pas et ne peut être une référence obligatoire et exclusive, servant d’outil de normalisation des pratiques et des conduites de la population. Il convient d’établir une transparence sur la nomination des experts des commissions décisionnaires dans ce domaine.

4/ Il existe d’ores et déjà

d’autres classifications que le DSM. Leur existence doit être validée et enseignée. Certaines ont déjà fait leurs preuves, telles que la CFTMEA, pour les enfants et les adolescents, qui a été à plusieurs reprises utilisée dans des études épidémiologiques et comporte d’ailleurs un tableau d’équivalence avec la CIM 10. Parallèlement, l’utilité d’une classification adaptée à la clinique sera débattue et ses fondements envisagés.

5/ Il est indispensable

de distinguer les besoins et les enjeux spécifiques, qui sont aujourd’hui confondus ou emmêlés. Les critères utiles ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agit :

– Des administrations

– Des enquêtes épidémiologiques et des orientations en santé publique

– De la pratique clinique et thérapeutique

– De la recherche et de l’enseignement.

Cette reprise d’une élaboration scientifique ne signifie pas un retour au passé. Elle exige de tenir compte, en les subsumant, des apports de la psychopharmacologie et des neurosciences, qui permettent de mieux départager les médiations organiques, et la causalité psychique. Il s’agit d’autant moins d’un retour à la nosographie classique, qu’il faut prendre en considération une clinique comparative avec les apports d’autres cultures, de même qu’il faut évaluer les changements dans les modes de vie qui font apparaître des manifestations symptomatiques plus évidentes que dans le passé. De telles études permettront de fonder des critères cliniques valables universellement.

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